Les Concertos du Concours : le n° 21 K. 467 de Mozart - Guide d'écoute

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Je ne sais plus qui disait que l’on appréciait toujours plus ce que l’on connaissait mieux…
C’est dans cette optique que nous allons passer en revue les concertos que nous entendrons au cours de cette « session piano » du Concours Reine Elisabeth.
Et nous commençons par les Concertos de Mozart que nous aurons l’occasion d’écouter à 24 reprises au cours des demi-finales, avec une nette préférence des candidats pour les Concertos K. 466 (choisi par 32 candidats sur 76) et K. 467 (choisi 20 fois) devant les K. 503 et 537. Ce sont les quatre concertos qui ont été sélectionnés par le Concours.
Des problèmes de droit nous empêchent bien sûr de proposer l’écoute entière des enregistrements de ces concertos. Nous en avons donc extrait les éléments qui illustrent le propos. Par ailleurs, en cliquant sur l'intitulé de chaque mouvement, vous serez dirigés par le mouvement entier sur YouTube, de préférence par les mêmes interprètes que ceux qui illustrent les propos sur notre site.
La rubrique a été testée par des personnes de différents niveaux de connaissances musicales pour s’assurer qu’elle est « accessible » pour le plus grand nombre.

Petit mode d’emploi
Nous vous conseillons de commencer par lire l’article, écouter les extraits et lire éventuellement les extraits de partitions, mais ce n’est pas indispensable.
Ensuite, vous posez un enregistrement du concerto sur votre lecteur (ou vous cliquez sur l’intitulé du mouvement qui vous conduira sur YouTube) vous suivez l’écoute en re-lisant l’article. Pour que vous puissiez vous appuyer sur les repères courants, nous vous donnons les indications de minutage (écoute) et les n° des mesures (partitions), ainsi qu’une ligne du temps.
Vous n’y arrivez pas tout de suite ? Pas de souci, vous n’êtes pas une exception ! Vous reprenez l’exercice une fois, deux fois,… et vous appréhenderez toujours mieux ce que les jeunes pianistes vont vous proposer la semaine prochaine.
Bonne écoute !

Le Concerto n° 21 en Ut Majeur K. 467 de Wolfgang Amadeus Mozart
Le Concerto en Ut Majeur K. 467 fut achevé le 9 mars 1785, soit quatre semaines après le K. 466 en ré mineur. Si son architecture témoigne de plusieurs similitudes avec le concerto en ré mineur, son expression est en contraste total avec son prédécesseur, signe encore de la mobilité expressive de Mozart.
Le K. 466 était tourmenté, sous le signe de l'orage et de la passion. Le K. 467 est calme, majestueux, olympien, dans cette lumineuse clarté de l'Ut Majeur. Les passages de virtuosité du piano prédominent et il est rare que le soliste n'occupe pas le devant de la scène.
Par rapport au K. 466 encore, l'orchestre et le piano disent chacun ce qu'ils ont à dire, indépendamment l'un de l'autre, mais sans se contredire ni s'opposer. Les partenaires semblent en total accord.
Ce mouvement fourmille d'idées nouvelles, presqu'à chaque page ! Nous appellerons THEME les motifs qui seront sujets à développement et reviendront dans l'exposition. Nous appellerons SUJETS ou IDEES les motifs qui surgissent cà et là au gré du génie.

Effectif instrumental : 1 flûte, 2 hautbois, 2 bassons, 2 cors, 2 trompettes, timbales, quatuor. Durée : +/- 30'.

Version d'écoute : Philharmonie Orchestra, dir.: Wolfgang Sawallisch. Piano : Annie Fischer. EMI CDZ 7 67022 2.

I. ALLEGRO MAESTOSO

Exposition
Thème 1. Le concerto s'ouvre par une marche sur la pointe des pieds, presqu'un motif de comédie et on ne serait pas étonné ade voir surgir quelque Leporello. On y retrouve une petite cellule en triolet comme dans l'entrée du K. 466, mais ici, elle n'a rien de menaçant dans sa formule descendante et sa nuance piano. Comme dans le K. 466 encore, sa présence hantera tout le mouvement et nous verrons que le piano réussira à l'éviter la plupart du temps. Ce sont les vents et timbales qui, très vite répondront à l'appel des cordes.K.467_I_1Def

 

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Mes. 12. 0'23''. La marche est reprise avec toutes les ressources de l'orchestre et module avec une liberté inattendue (Ut, la, Sol, Ut).

Mes. 28. 0'52''. S'ensuit une nouvelle idée (a), comme un " faux" nouveau thème à la tonique toujours, une pensée fugitive qui ne reviendra que dans la réexposition, à la mesure 350.
A l'appel des cors répondent la flûte et les hautbois dans un registre aigu.

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Mes. 36.1'. Le début de la marche revient en imitation entre les cordes, puis les hautbois et les bassons, et ensuite à tout l'orchestre qui poursuit avec un nouveau sujet (b) (Mes. 44. 1'21'') dans la nuance forte, sujet qui sera repris pour clôturer le mouvement après la cadence.

K

Cet épisode sera suivi d'une montée chromatique à la flûte (Mes. 52. 1'35'') à laquelle répondront les violons par un joli geste mélodique. Reprise de la flûte, et allongement de la réponse des violons. Une calme persévérance pose le tableau.
Mes. 64. 1'56''. Une troisième apparition de la Marche réduite à sa première mesure et jouée forte par tout l'orchestre. Le ton est tellement impératif que -comme dans le K. 466- chacun des membres de la famille des bois va inviter le soliste à entrer; par son chromatisme, cette invite en est suppliante.K.467_I_69


Mes. 74. 2'15''. Entrée timide du piano que soutiendront encore les bois. Le piano n'entre pas avec un thème mais annonce une cadence qu'il va réaliser sur un point d'orgue six mesures plus tard.
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Petite cadence du piano sur le point d'orgue, suivie d'un trille sous lequel les cordes entament le début de la marche. Mes. 84. 2'41''. Le soliste lui coupe la parole et poursuit seul la suite de la Marche, sa deuxième partie, la moins signifiante somme toute. Il va la varier et la contrepointer lorsqu'elle sera reprise par les cordes et terminée par les vents. Mes. 91. 2'54''. Le piano poursuit seul son voyage avec un motif sinueux et, comme pris à son propre jeu, il va développer des traits virtuoses animés qui nous mènent à la tonalité de la dominante du ton principal en mineur (sol).
Mes. 107. 3'22''. Deux mesures de l'orchestre confirment la tonalité nouvelle.
Mes. 109. Nouveau motif (c) du piano en sol mineur
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qui ne se rapporte en rien à ce qui a précédé. Son caractère mi-assertif, mi-élégiaque rappelle le monde du K. 466 et annonce les accents haletants par lesquels s'ouvrira la Symphonie en sol mineur (1788).
Mais ce climat n'est pas d'à-propos. Mozart s'en détourne vite par des traits virtuoses et lui substitue le Thème 2 d'une magnifique insouciance ensoleillée, en Sol Majeur, la douce lumière d'un Majeur retrouvé.
Mes. 128. 4'00''
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"Instant qui passe, arrêtes-toi, tu es si beau !" (Goethe).
Les bois reprennent la première partie du thème (beau dialogue entre les bois et le soliste) et le piano s'empare de la suite. Il esquisse la Marche (Mes. 143. 4'28'') mais l'abandonne vite et, tandis que les cordes et les bois reprennent cette esquisse, le piano les snobe par des battements d'octaves suivis d'un grandiose passage de virtuosité, jusqu'ici le plus ample et le plus puissant de tous les concertos, tandis que la marche continue à nous hanter avec le fantôme de ses premières notes qu'elle promène de registre en registre et de sous-dominante à sous-dominante.
Mes. 162. 5'00''. La vigueur virtuose atteint son comble et se condense en quatre accords massifs avant de reprendre haleine avec quelques mesures de douceur se terminant sur un trille, sorte de tremplin vers une nouvelle série d'arpèges, d'octaves brisées et de gammes. Une ampleur jusqu'ici insoupçonnée chez Mozart (49 mesures du piano sans discontinuer!).
Mes. 194. 5'55''. Pour l'équilibre du mouvement, le tutti se devait de reprendre en force, ce qu'il fait, forte, reprenant la première partie de la marche -son thème à lui. On va insensiblement passer de Sol Majeur à mi bémol mineur.
Mes. 204. 6'15''.  Reprise de la montée chromatique aux flûtes et du développement qui avait conclu le 1er Tutti (mes. 52 à 63).
Mes. 208. 6'29''. La cadence attendue s'esquive, la magnifique assurance de la musique s'évanouit en se dirigeant vers la tonalité de si mineur.

Développement (Mes. 222. 6'46'')
Durant tout le développement, le piano ne quittera pas la scène un seul instant.
Mes. 222. 6'46''. Il prend son départ sur un nouveau motif (d) -qui n'est pas sans rappeler le 1er thème du piano dans le K. 466 avec sa réponse en tierces-

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et puis démarre en flot ininterrompu de traits chromatiques et modulants, passant de la clarté à la lumière. Les jeux se passeront essentiellement entre les bois qui varient le motif dont ils gardent la base harmonique et le soliste qui l'enroule de ses turbans.
Mes. 237. 7'13''. Sans transition se fait entendre un petit discours fougueux entre les bois et la piano lors duquel nous parcourons des tonalités nouvelles en passant de sous-dominantes à sous-dominantes.
Mes. 259. 7'50''. Longue montée chromatique des flûtes doublée par des broderies du piano ; le mouvement se brise ensuite sur une rapide glissade ; un bref signe de lassitude, mais, dans un dernier effort, le piano reprend ses arpèges et descend degré par degré en decrescendo sur une pédale de dominante pour aboutir à la Réexposition.

Réexposition Mes. 274. 8'16''
Ut Majeur. Thème 1 (Marche).
Mes. 295. 8'54''. Les violons reprennent le début du thème en imitations et, très vite, le piano s'empare de celles-ci (ce qu'il avait mis 143 mesures à faire dans l'exposition, et pour l'abandonner très vite) et va le développer par des traits de gammes qui nous conduisent tout naturellement au Thème 2 au piano (Mes. 312. 9'24''), en Ut Majeur puisqu'on est dans la réexposition, repris aux bois, et à la mesure 326, le piano s'en empare (comme dans l'exposition). Mes. 328. 9'51''. Brève imitation de la marche introduite par le piano qui poursuit par un long passage de bravoure -comme il l'avait fait dans l'exposition- tandis que les cordes continuent sur le début de la marche en imitations.
Mes. 350. 10'10''. L'idée a revient à l'orchestre, le piano la reprend et puis, sans plus le remarquer, il s'engage dans un nouveau long passage de virtuosité. Comme on le voit, chaque démarche de reprise de thème ou de motif est sujet à longs développements virtuoses, ce qui rend ce concerto d'une difficulté redoutable.
Mes. 384. 11'26''. Le Tutti revient en force avec le thème de la marche qui nous conduit à la cadence.
Mes. 396. 11'50''. Cadence. Annie Fischer a choisi les redoutables cadences de Busoni (1866 - 1924).
Mes. 397. 14'29''. L'orchestre prend la relève avec le Sujet b forte et la petite montée chromatique qui ouvre la voie à une brève Coda.
Mes. 409. 14'49''. Coda sur des esquisses du thème de la Marche, avec pour dernier clin d'oeil son triolet de doubles croches, tout cela dans la nuance piano. Comme dans le K. 466, l'Allegro se termine par le motif qui l'avait ouvert.

II. ANDANTE  (à 15'06'' sur YouTube)
Certains parlent du "Concerto d'Elvira Madigan". Bien connu pour être exploité au cinéma, cet Andante ne perd toutefois rien de sa beauté et du plaisir de son écoute. Il s'agit à nouveau d'un chef-d'oeuvre de Mozart.
Portée tout au long par des triolets de croches, "con sordino", de délicats pizzicati des cordes basses et, ci-et-là, par la parure colorée des bois, une cantilène se chante, serpente de ton en ton à travers tout le mouvement, autant d'états d'âme, tantôt rêveurs, tantôt angoissés ou sereins. "Un fleuve d'allure lente mais constante et ce n'est que de loin et loin qu'un remous dans le courant annonce la naissance d'un nouveau sujet" (Girdlestone).
On peut tenter de diviser ce mouvement (à la sous-dominante Fa Majeur) en trois périodes.
1ère période : sur de frémissants triolets, la mélodie (A) fait son entrée
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2e période : Mes. 23. 1'36''. Le piano fait son entrée sur cette même mélodie ; aux mesures 30 et 32, relief inattendu par le croisement des mains pour aller chercher les basses. Il poursuit son cours pour offrir une nouvelle mélodie (B - Mes. 37. 2'40'') modulante (ré mineur, Fa Majeur, Ut, Sol, ut, Ut)

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Mes. 62. 4'27''. A nouveau une nouvelle mélodie modulante (Si bémol, sol, fa, La bémol)
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3e période. Mes. 73. 5'12''. Retour varié de la mélodie initiale en La bémol majeur (relatif Majeur de la tonique mineure). Bref passage en si bémol mineur, Ut, fa, et retour à la tonalité initiale, Fa Majeur. K

Mes. 99. 7'08''. Courte coda de quatre mesures.

III. ALLEGRO VIVACE ASSAI (à 22'45'' sur YouTube)
Comme souvent chez Mozart, le 3e mouvement invite à la détente, d'autant plus que le deuxième mouvement invitait à l'introspection. Essuyons les larmes, comme s'il ne s'était rien passé. La pudeur de Mozart.
La forme en est un Rondo de Sonate dont le Refrain nous plonge au coeur d'un opéra buffa. Olivier Messiaen parle de "joie badine". Le dialogue entre soliste et orchestre ou entre vents et cordes est particulièrement abondant ici et, à plusieurs reprises, on verra s'inverser les rôles du soliste et de l'orchestre particulièrement clair et d'une verve pétillante.
Rappelons la structure du Rondo Sonate : A B A C A D A,.... à l'intérieur de laquelle on retrouve les rapports de tonalité de la Sonate : Tonique-Dominante-Tonique.
Ut Majeur. Mesure 2/4.

EXPOSITION
Le Refrain A. peut se diviser en deux parties : antécédent (Aa) et conséquent (Ab)
Aa
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Ab (Mes. 9. 0'12'')
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Mes. 20. 0'24''. Petite cadence du piano qui entre avec le Refrain Aa accompagné par le quatuor de cordes.
Mes. 28. 0'38''. Tutti qui, dans sa deuxième partie, va reprendre la partie Ab du Refrain et va conclure brillamment par les vents soutenus par un unisson des cordes.

Mes. 58. 1'00''. 1er Couplet (B) en Ut Majeur au piano.
K

Mes. 74. 11'13''. Dialogue cordes et vents sur la 2e partie de A et puis le piano enchaîne et lui donne une suite variée et modulante qui nous conduit en Sol Majeur.

MES. 1101'40''. 2e Couplet (C). Les vents seuls, à découvert, font entendre un rythme joyeux
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Le piano s'en empare pour le faire suivre d'une longue ritournelle tandis que les bois l'accompagnent de sa partie rythmique.

DEVELOPPEMENT  Mes. 154. 2'14''.
Sol Majeur. 3e Couplet (D) Sans transition, le piano propose un 3e Couplet qui n'est pas sans faire penser à un passage du dernier Quatuor dédié à Haydn.
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Il est repris aux vents tandis que le piano l'ornemente de légers triolets. S'ensuit une rapide transition qui mène à une petite cadence du soliste sur la dominante.

Mes. 178. 2'40''. Aa du Refrain au piano. Reprise par les violons Ab du Refrain au piano qui module et joue avec le thème et dessine à nouveau une petite ritournelle.
Mes. 213. 3'06''. Retour du 1er Tutti. Brusquement, tout s'arrête (mes. 22. 3'11''); le rythme se brise en points d'interrogations. Les bois les reprennent. Mes. 234. 3'23'') Au quatuor de cordes, en imitations, des amorces modulées de A ramènent au soliste pour un nouveau dialogue avec les bois sur une petite variante écourtée de Aa; les protagonistes se renvoient gentiment la balle. Et puis, (Mes. 269. 3'50''), le piano s'impose pour entamer en Fa Majeur et développer en modulations chromatiques Aa à la main gauche sur un accompagnement de doubles croches à la main droite, autant d'appels auxquels répondent les hautbois et les bassons. L'échange se poursuit de façon puissante et novatrice; ensuite les cordes vont ramener l'ensemble à la tonalité d'Ut Majeur pour la Réexposition.

REEXPOSITION
Mes. 313. 4'24''. Aa au piano suivi du retour de la fin du 1er Tutti.

Mes. 333. 4'39''. B 1er Couplet modulé et allongé (Ut, la, Fa, ré, ut, Sol).

Mes. 361. 5'00''. Ut. C 2e Couplet. Apparition inverse par rapport à l'exposition: d'abord au piano, ensuite aux bois sur une longue et brillante ritournelle du piano que continueront à accompagner les bois par le rythme de ce couplet.

Mes. 405. 5'35''. Ut. D 3e Couplet. Au piano et repris aux bois sur un nouveau et charmant dessin du soliste.


Mes. 417. 5'45''. Un bref Tutti nous amène à la Cadence du piano. Ici aussi, Annie Fischer a choisi la cadence de Busoni.
Mes. 418. 6'53''. Le piano enchaîne sur Aa sur des batteries du quatuor. Mais c'est à ce dernier que reviendra la conclusion finale sur Aa et sa dernière mesure sur un grand trait en crescendo et forte du piano. Trois larges accords forte V-I. Un concerto qui nous aura fait entendre les protagonistes en dialogue constant.

Bernadette Beyne

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