Les éditions C.F. Peters fêtent les 150 ans de la « série verte »

par
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La Série Verte : 150 ans d’histoire dans l’Histoire
Elle fait partie de l’intimité de tous les musiciens. Pour les débutants, les amateurs ou les têtes d’affiches, les couvertures de la Série Verte sont aussi familières que le siège sur lequel ils installent leurs déchiffrages, leurs plaisirs partagés ou leurs exploits.
Il y a 150 ans, la maison d’édition C.F. Peters publiait le premier numéro de cette Série Verte dont le nom officiel est Edition Peters ; elle allait devenir l’emblème de la maison.
Célébrer 150 ans d’existence, c’est s’intéresser au chemin parcouru. Pas pour jouer la carte de la nostalgie. Mais si l’on veut préserver son âme, il faut grandir sans perdre de vue ses racines.
Le berceau
En 1800, le Bureau de Musique est fondé à Leipzig. L’histoire de l’un des éditeurs de musique les plus anciens au monde commence. A l’époque, comme aujourd’hui, la cité nichée au cœur de la Saxe joue un rôle majeur dans l’histoire de la musique classique occidentale. Etroitement liée à Jean Sebastien Bach, Mendelssohn, Reger, Schumann ou Wagner, elle peut aussi s’enorgueillir de la reconnaissance internationale qui plane sur l'Orchestre du Gewandhaus.
Et au 19e siècle, Leipzig était aussi le centre de l'édition et de l'imprimerie allemandes à la pointe des développements technologiques, balisant au quotidien le développement de la maison d’édition.
En 1814, le Bureau de Musique qui a compté Goethe et Beethoven parmi ses clients est rebaptisé C.F. Peters.
Plusieurs propriétaires se sont succédés au cours des 66 premières années de son existence. Celle-ci se déroulait au rez-de-chaussée de la maison de Mendelssohn.

Max Abraham, homme d'affaires et visionnaire

En 1867, C.F. Peters appartenait en partie à Max Abraham, un homme d’affaires remarquablement adapté à son temps, mais un visionnaire aussi. Il fut le premier éditeur de musique à adopter la révolution technique de l’impression sur rotative et à réduire ainsi les coûts d'impression.
Et le 9 novembre 1867 surgit sur le marché la série « Edition Peters » avec ses couvertures au liseré vert tilleul, au cinquième du prix des autres partitions pour une présentation agréable et une qualité d’impression indiscutable. Son premier titre -à tout seigneur tout honneur !- c’est évidemment le Clavier bien tempéré de J.S. Bach.
D’emblée, 100 titres sont publiés. C’est tout un catalogue, une bibliothèque musicale, qui modifie profondément le paysage puisque les musiciens du monde entier peuvent y accéder à un prix abordable. Le succès est sans précédent : la Série Verte se vend en quantité phénoménale, partout dans le monde.

Mais Max Abraham est fidèle à sa devise : Kürze ist Würze (Plus c’est court, mieux c’est). Loin de se reposer sur ses acquis, il avance. Dix ans plus tard, quand les Romances sans Paroles de Mendelssohn sortent d’imprimerie, c’est déjà l’EP 1740a.
Au cours des décennies suivantes, les principaux champs du répertoire sont disponibles, des études pour piano de Burgmüller aux Lieder de Hugo Wolf, en passant par les grandes œuvres chorales.

Homme d’affaires, Max Abraham est aussi un homme juste et généreux. Ainsi quand, en 1881, les œuvres de Robert Schumann quittent le domaine des droits d'auteur et qu'il s’apprête à publier l’intégrale de ses œuvres pour piano, il s’adresse à Clara et lui propose une importante somme d’argent parce qu’il trouve injuste qu'elle n'ait pas pu tirer plus de bénéfice du génie de son mari. Elle l’accepte avec reconnaissance.

Philanthropie et action sociale
Ouvert et généreux, Max Abraham l’est aussi avec son personnel. Il introduit un plan d'épargne obligatoire auquel il contribue; il lance, sur le compte de l'entreprise, un régime de retraite pour les employés; il assure aussi une partie des impôts de ceux-ci ; et, dans les années 1880, il est l'un des premiers employeurs de Leipzig à organiser des vacances et à offrir à Noël un bonus à tous les membres du personnel qui étaient en difficulté.

Talstrasse 10, Leipzig

Talstrasse
Talstrasse 10, Leipzig

En 1874, Max Abraham et Edition Peters ont déménagé et occupent désormais une grande maison neuve, Talstrasse 10, à Leipzig. Conçue par Otto Bruckwald, l'architecte du Festpielhaus de Bayreuth, la maison est devenue le point de ralliement culturel de la ville où de nombreux compositeurs rendent visite à Max Abraham, à son neveu Henri Hinrichsen et à sa famille. La salle à manger fut le théâtre de conversations passionnés et de belles soirées musicales. Plus tard, cette pièce sera magnifiquement restaurée et elle abrite désormais le Musée Grieg.

Henri Hinrichsen

La relation qui se développe alors entre Max Abraham, Henri Hinrichsen et Edvard Grieg est unique dans l'histoire de l'édition musicale. Grieg considère Abraham comme son père adoptif. La chaleur de leur relation est largement attestée dans les lettres qu’ils échangèrent (on en compte plus de 400). Abraham a toujours assuré à Grieg le confort financier qui lui permettait de se consacrer exclusivement à la composition. Si Grieg venait à Leipzig, il était hébergé avec sa famille à la Talstrasse 10 et il y composa d’ailleurs en partie son Peer Gynt. Grieg et sa femme Nina voyagèrent à travers l'Europe avec Max Abraham d’abord, plus tard avec Henri Hinrichsen et sa famille. Et c’est encore Max Abraham qui acheta le terrain où Grieg fit construire sa maison de Troldhaugen en Norvège. Toutes les œuvres de Grieg ont été publiées aux Edition Peters, un immense succès tant pour l'éditeur que pour le compositeur.
Pour le 100e anniversaire de la maison, Grieg écrivit à Abraham pour lui dire sa profonde gratitude. Malheureusement, il ne l’a pas su : il est décédé paisiblement avant l'arrivée de la lettre.

A partir de 1933
La maison d’édition poursuit son développement sous la direction d’Henri Hinrichsen et elle est la première à publier un Urtext : ce sont les Inventions à deux voix de J.S. Bach en 1933.
Henri Hinrichsen n’est pas moins audacieux que son oncle et il achète les droits pour éditer les Cinq Pièces orchestrales d'Arnold Schoenberg, les 5e et 6e Symphonies de Mahler et les Poèmes Symphoniques de Richard Strauss.
Il veille par ailleurs à poursuivre aussi ses engagements philanthropiques et fait des dons considérables à des oeuvres charitables et des entreprises culturelles, à Leipzig et dans toute l'Allemagne.
Mais la tragédie approche et elle modifiera définitivement le cours des choses.

L’entreprise est parmi les premières à être aryanisées.
Les deux fils aînés d'Henri parviennent à partir. Max à Londres où il fonde « Peters Edition Limited » en 1938, et Walter à New York où il crée « C.F. Peters Corporation ».
Henri et dix autres membres de la famille périront dans l'Holocauste.
Au procès de Nuremberg, un survivant de la famille Hinrichsen fournira un témoignage bouleversant sur ce que fut sa vie dans les cinq camps de concentration qu’il a connus.

Puis Leipzig passe sous contrôle russe et C.F Peters devient la maison d'édition musicale de l'Allemagne de l'Est. Une société « sœur », ouest-allemande, est créée à Francfort en 1951. Pendant ce temps, à Londres et à New York, Max et Walter travaillent dur pour sauvegarder le patrimoine familial. Max gagne ainsi un procès vital contre Novello & Co qui lui contestait ses droits de propriété du fait du décès de son père à Auschwitz. Au milieu des années ‘50, Walter signe des contrats avec John Cage et George Crumb, et il compte parmi les premiers éditeurs américains à commercer avec le Japon d'après-guerre.

A travers tragédie et chaos, la Série Verte continue d’être imprimée, distribuée, développée. (*)

L’année 2010 voit la fondation du Groupe Edition Peters qui réunit formellement les différentes « branches » dans le cadre d’une copropriété : la Fondation Hinrichsen au Royaume-Uni et les héritiers de Walter aux États-Unis.

En octobre 2014, la maison de Francfort est fermée et Edition Peters Allemagne fait un retour chargé d’émotion à Leipzig où elle retrouve SA maison, la Talstrasse 10 magnifiquement restaurée.

Si les Editions Peters fêtent aujourd’hui leur Série Verte, elles continuent d’évoluer, de manière toujours réfléchie : se fondant sur la technologie révolutionnaire de Tido, elles publient désormais les éléments les plus importants de la série sous forme d'éditions numériques enrichies, adaptées à la jeune génération de musiciens. C’est au piano qu’est revenu l’honneur des premiers pas : la collection Piano Masterworks est la première disponible sur l'application Tido Music. Les partitions y sont accompagnées de tutos vidéo, d’enregistrements d'artistes et de spécialistes et d’informations contextuelles tant sur les compositeurs que sur leurs œuvres.
Et, comme il y a 150 ans, les contenus se développent vite : 100 œuvres déjà. Pour s’en rendre compte, il suffit de se rendre sur www.tidomusicapp.com.

www.tidomusic.com

Aujourd’hui
150 ans et 16 000 titres plus tard, Edition Peters reste fidèle au design qui a fait sa renommée internationale avec toujours, pour fil rouge, la qualité à un prix raisonnable.

 

 

 

LA SÉRIE VERTE en détails

La couverture se compose des éléments principaux suivants :
• le cadre formé par le liseré vert tilleul
• le logo « Edition Peters » - placé au centre
• le nom du compositeur dans la police de caractère « Drawn »
La mise en page de la couverture est demeurée pratiquement inchangée depuis 1867 grâce à la simplicité, la force et l’intemporalité du design original.

Il existe néanmoins deux variantes :
1) Chaque « Urtext » porte un bandeau rouge du haut à gauche jusqu’au dos de la couverture avec l'indication « Urtext ».

2) Une nouvelle couverture a vu le jour pour la musique contemporaine et la musique chorale : barre verte « Contemporary » ou « Choral » (comme pour « Urtext »), nom du compositeur (à gauche, en police de caractère Drawn), logo Peters (centré en bas) et pointe du logo très agrandie (dans la partie centrale).

 

 

Michelle Debra

(*) Pour éclairer cette période, deux livres sont parus, écrits et publiées à compte d’auteur par Irene Lawford-Hinrichsen, la petite fille d'Henri Hinrichsen. Il s’agit de Music Publishing and Patronage: C.F.Peters - 1800 to the Holocaust (2000) et Five Hundred Years to Auschwitz: A Family Odyssey from the Inquisition to the Present (2008) qui apportent aussi des éclairages intéressants sur l'histoire de la ville de Leipzig. Ils ne sont disponibles qu’en anglais.

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