Les hauts et les bas de la saison de la Scala

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Il Trovayore © Brescia/Amisano, Theatro alla Scala

Il Trovatore et Lucia di Lammermoor
A la suite du scandale soulevé par ‘La Traviata’ d’ouverture de saison, dû en large part à la mise en scène de Dmitri Tcherniakov, la direction de la Scala navigue en des eaux moins troubles en reprenant la production de Hugo De Ana pour ‘Il Trovatore’, production qui avait été inaugurée le 7 décembre 2000. Et le public ne tarit pas d’éloges sur ces imposants murs de forteresse, s’écartant pour livrer un campement tzigane au sein d’anfractuosités rocheuses ou un donjon au pied duquel s’amoncellent les cadavres de soldats mutilés. Et les scènes de combat de l’acte II usent du ‘ralenti’ dont pourrait bénéficier un film de cape et d’épée. Le bleu et le gris sont les couleurs dominantes de costumes magnifiques s’inscrivant dans une esthétique historique moyenâgeuse. A la tête des chœurs, remarquables au niveau des registres masculins, et de l’orchestre de la Scala, le jeune chef Daniele Rustioni ne peut masquer son inexpérience qui met en péril les ensembles par de trop fréquents décalages. Maria Agresta est la triomphatrice de la soirée par la qualité de sa ligne de chant qui nimbe la cavatina « D’amor sull’ali rosee » ; mais curieusement, les ‘passaggi’ virtuoses des ‘cabalette’ mettent à mal une émission que l’on a connue plus saine dans son Elena des ‘Vêpres Siciliennes’ au Regio de Turin. Marcelo Alvarez traverse aujourd’hui une période difficile : son timbre inaltéré fait illusion dans la célèbre stretta « Di quella pira » ; mais les problèmes que laisse percevoir sa technique de souffle l’obligent à produire un phrasé ‘en accordéon’ dont s’accommode mal le sublime « Ah sì, ben mio » (cf. l’incomparable Bergonzi des années soixante !). Le mezzo Ekaterina Semenchuk a le grain corsé des voix slaves, sans posséder la veine hallucinée qui en ferait une Azucena crédible. La basse Kwangchul Youn est un Ferrando ordinaire, au même titre que le Conte di Luna de Franco Vassallo, forçant ses moyens sans se préoccuper de la tenue de son chant.

L’on a beaucoup parlé de Mary Zimmermann à propos de sa production de l’ ‘Armida’ de Rossini pour le Met en avril 2010. Pour ‘Lucia di Lammermoor’ à la Scala, elle fait appel au décorateur Daniel Ostling et à la costumière Mara Blumenfeld pour créer une Ecosse bourgeoise de la fin du XIXème ; dans de très belles lumières conçues par T.J. Gerckens, la transposition est cohérente, le moment de surprise passé. Le chef d’orchestre Pier Giorgio Morandi comprend le style du belcanto romantique et sait en restituer le coloris si particulier. Le ténor Vittorio Grigolo joue la carte de l’impétueux Edgardo, victime du sort, et trouve des accents touchants pour sa scène finale. L’Enrico de Massimo Cavalletti partage avec la basse Sergey Artamonov la grossièreté du trait et l’émission fruste d’un chant qui supposerait une certaine élégance, élégance qu’affiche le jeune Juan Francisco Gatell dans le rôle épisodique d’Arturo. Mais le problème du spectacle est constitué par la Lucia d’Albina Shagimuratova : où est-on allé chercher une chanteuse aussi médiocre, qui a certes à disposition quelques aigus et suraigus, pas toujours justes, mais qui n’a pas la moindre notion de phrasé ?
Paul-André Demierre
Milan, La Scala les 22 et 23 février 2014

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