Les Musiciens et la Grande Guerre

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Une fois n'est pas coutume : pas de critique de CD, mais le compte rendu d'une conférence passionnante sur le sujet. Sujet plus pointu encore car il s'agissait ici des compositeurs belges durant la guerre 14-18. L'orateur, Christophe Pirenne, enseigne l'histoire de la musique à l'université de Liège, et est également spécialiste du "rock progressif" (il a même été batteur). C'est dire que cette conférence a balayé large, et a dépassé le cadre strict de la musique classique.

1. la musique populaire
Qu'écoutait-on, en Belgique, lors de ces années de guerre, années de porte d'entrée du vingtième siècle selon ses mots ? Avant tout de la musique populaire, bien sûr. Et de citer les compositeurs favoris du temps, francophones (Vincent Scotto, Camille Robert ou les jeunes Maurice Chevalier et Mistinguett), néerlandophones (Albert Bol) ou anglo-saxons (Irving Berlin, Jerome Kern). Et les Belges ? Il a cité les frères Rogister (Chrétien et Jean) puis Ernest Genval, grand compilateur devant l'Eternel (La Chanson des Jasses). Les textes étaient souvent originaux, plaqués sur une musique existante, soit ancienne (valse, mazurka), soit contemporaine (foxtrot et autres danses américaines). Les musiciens adaptaient plus qu'ils ne composaient. Sur un écran défilaient de belles affiches-annonces de concerts (qui se terminaient souvent par La Brabançonne !), ou de vieilles partitions. Partitions qui, petit à petit, allaient céder la place au phonographe triomphant, tout comme le patois allait être défait par la langue vernaculaire, française ou néerlandaise. La modernité était en marche.

2. la musique savante
La seconde partie de l'exposé se consacrait aux musiciens professionnels, avec force statistiques à l'appui : la population des conservatoires du pays, les concerts de musique belge, chez nous et à l'étranger avec les "stars" du podium qu'étaient Peter Benoit, Arthur De Greef ou  Lodewijk Mortelmans, très joués. Pirenne ne manqua pas ici de rappeler l'exceptionnelle renommée de La Monnaie, qui a créé tant d'opéras boudés à Paris tels Le Roi Arthus,  Hérodiade, ou Sigurd, et qui restait à la pointe de la modernité. Deux destins tragiques furent commémorés : André Devaere et Georges Antoine, morts au champ d'honneur. La conclusion du brillant conférencier fut un peu mélancolique. Selon lui, cette période si riche de notre patrimoine a souffert d'un grand défaut : elle a été étouffée par le langage postromantique des franckistes tout-puissants, et a ainsi raté le passage vers la musique nouvelle. Finie la période brillante des XX, ou de La Libre Esthétique, témoins de l'indépendance de la Belgique artistique. L'enseignement musical de plus en plus conservateur aurait enfermé notre pays dans une gangue dont il sort enfin aujourd'hui. Je lui laisse la responsabilité de pareille opinion, mais sa conférence fut en tous points passionnante.
Bruno Peeters
Bruxelles, Palais des Académies, le 23 novembre 2016

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