Les Musiciens et la Grande Guerre (5) - Vol. XII et XIII

par

Les Musiciens et la Grande Guerre (5)
Volume XII. Pensées intimes
Hans PFITZNER (1869-1949)
Sonate pour violon et piano
F.S. KELLY (1881-1916)
Sonate pour violon et piano
Georges ANTOINE
(1892-1918)
Sonate pour violon et piano
Lili BOULANGER (1893 - 1918)
Nocturne
Guillaume SUTRE (violon), Steven VANHAUWAERT (piano)
2015-DDD-63' 58''-Textes de présentation en anglais et en français-Hortus 712

Trois grandes sonates pour violon et piano : le programme de ce volume suivant de la série est copieux et... sérieux. Pfitzner n'est pas le compositeur le plus primesautier de l'histoire de la musique, on le sait. De forme très classique et respectueuse de la tradition, sa sonate op. 27, de 1918, s'inscrit dans la grave descendance de son opéra Palestrina, créé l'année précédente. Le premier mouvement, sans doute un peu long, est solidement construit et surtout bien écrit pour le violon, dont il flatte la sonorité. Sans lourdeurs, le mouvement lent , assez tristanesque, sombre et profond, précède un final "extrêmement dynamique et enflammé" : de caractère vif et enthousiaste, il apporte une conclusion inattendue, entre autres par une écriture très volubile du clavier. Les précédents volumes de la collection nous avaient révélé le nom de l'Australien Frederick Septimus Kelly, tué à la Somme. Durant la bataille de Gallipoli (1915), il composa une sonate dédiée à l'illustre violoniste Jelly d'Aranyi, créatrice de Tzigane de Ravel, et des deux sonates de Bartok, avec qui il avait souvent joué à Londres. Le langage en est post-romantique. L'adagio central, évasif et rêveur, pourrait évoquer Delius, par le fantasque de l'inspiration. Joyeux et robuste, le finale repose sur un "ground" forte au piano. Datant de 1915 aussi, la sonate de Georges Antoine détonne moins : elle est tout à fait franckiste. C'est une petite soeur de la sonate de Lekeu (en moins long), d'une écoute tout à fait agréable : les deux interprètes semblent beaucoup s'amuser. L'interaction entre les deux musiciens est parfaite, jusqu'à la jolie pirouette finale. Le CD conclut, non par une dernière sonate, mais par un bref nocturne de Lili Boulanger, au lyrisme gentiment balancé, et qui contient une petite citation du Prélude à l'après-midi d'un faune de Debussy. Toutes ces pièces, fort peu connues, sont parfaitement défendues par le duo Guillaume Sutre & Steven Vanhauwaert, pour qui le monde feutré de la musique de chambre ne semble conserver aucun secret.

Son 9 - Livret 10 - Répertoire 8 - Interprétation 10

Grande guerre XIIIVolume XIII. Clairières dans le ciel
Pierre VELLONES (1889-1939)
Deux mélodies
Joseph Guy ROPARTZ (1864-1955)
Quatre odelettes
Georges MIGOT (1891-1976)
Sept petites images du Japon
Jacques de la PRESLE
(1888-1969)
Trois mélodies
Lili BOULANGER (1893-1918)
Clairières dans le ciel
Cyrille DUBOIS (ténor), Tristan RAËS (piano)
2015-DDD-73' 42''-Textes de présentation en anglais et en français-chanté en français-Hortus 713

L'intitulé du volume XIII focalise l'intérêt sur cet étonnant cycle que Lili Boulanger composa à la Villa Médicis en 1914, sur des poèmes de Francis Jammes, et qui reste peut-être son plus beau titre de gloire. Chez cette compositrice exceptionnelle, "la musique se fait art de la contemplation intérieure" écrit Alexandra Laedrich dans la notice, qui insiste aussi sur l'intensité des sentiments de ce cycle. Puissance aussitôt tempérée par une indéniable douceur féminine, qui rend ces mélodies si riches et si émouvantes. Les ambiances divergent de chant en chant, douces (Nous nous aimerons tant) et poétiques au début, avec quelques accents fauréens (Vous m'avez regardé avec toute votre âme) pour soudain s'assombrir. Voilà tout un monde d'ambiances, miroitant comme une âme changeante, d'une richesse extraordinaire. Mais la mort approche, et la dernière mélodie, longue (7' 57'') est déprimante : "Pourquoi fait-il si beau et pourquoi suis-je né ?". Le dernier vers est lugubre : "Je n'ai plus rien, plus rien qui me soutienne. Plus rien. Plus rien." L'émotion est à son comble. Merci à Cyrille Dubois de l'avoir si bien ressentie et rendue. Nous connaissons bien ce jeune ténor, par ses prestations récentes (Le Désert de Félicien David, les cantates de Paul Dukas), dont nous admirons la douceur et le legato, et sommes heureux de le retrouver toujours à la défense du patrimoine français. Aux côtés de ce cycle si admirable de Lili Boulanger, le CD présente des mélodies très intéressantes, et toutes peu connues, de compositeurs qui ne le sont pas plus. Jacques de la Presle, par exemple, Prix de Rome 1921, dont nous découvrons trois mélodies pleines d'allant, de pudeur aussi, dont une impressionnante marche funèbre en hommage à Charles Péguy, mort en 1914, qui cite La Marseillaise. Georges Migot a toujours été un compositeur à part, encensé ou laissé de côté. Ses images japonaises (1917)  sont originales et déconcertantes, l'accompagnement semblant parfois étranger au chant. Plus classique sera Ropartz, le barde breton, qui met en musique quatre belles odelettes d'Henri de Régnier. Très bien écrites, elles donnent l'occasion à Cyrille Dubois et à Tristan Raës d'offrir le meilleur d'eux-mêmes : Je n'ai rien que trois feuilles d'or, le dernier lied, est ainsi superbe et évocateur, dès le début a capella. Dubois se surpasse au dernier vers, si raffiné. Deux mélodies de Pierre Vellones encadrent ce CD, liminaire et épitaphe, en quelque sorte. Une lettre du front, veille nocturne fantomatique, et, in fine, une chanson en argot, qui remet les choses en place : Aux gonzes qui se débinent. Toute la guerre est là. Ce disque a été réalisé avec le soutien du Palazzetto Bru Zane - Centre de musique romantique française.
Son 9 - Livret 10 - Répertoire 8 - Interprétation 9

Bruno Peeters

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