Les Musiciens et la Grande Guerre (6)

par

Volume XI. Chant de guerre
Oeuvres pour harmonium de Florent Schmitt, Joseph Jongen, Alfredo Casella, Sigfrid Karg-Elert et Aymé Kunc
Emmanuel Pelaprat (harmonium), Ensemble Double Expression
2016-61'45''-Textes de présentation en français et en anglais-Hortus 711

Ce onzième volume est un peu particulier. On ne peut affirmer que l'harmonium soit un instrument enthousiasmant, quant au timbre ni quant au répertoire. Orgue du pauvre, il fut sans doute de grande aide aux paroisses désargentées, ou aux parloirs de couvents de province, mais ne donna que peu de chefs-d'oeuvre, malgré les efforts de Franck ou de Saint-Saëns, par exemple, ou même de Rossini dans sa Petite Messe Solennelle.. Pour harmonium seul, le compositeur Karg-Elert (1877-1933), successeur de Max Reger au Conservatoire de Leipzig,  écrivit un cycle de 20 minutes, Innere Stimmen (1919), plutôt méditatif, dont ressort un "scherzino" plus animé. Les pièces de Jongen, au langage traditionnel, forment une sorte de petit requiem en quatre improvisations. Le "Recordare" final, liturgique, évoque, dans ses harmonies recherchées,  tantôt Fauré, tantôt Holst. Les deux compositeurs français retenus utilisent la voix. Florent Schmitt, dans un Chant de guerre assez violent (1915), se laisse aller à son lyrisme exacerbé habituel. Le texte (non inclus), est patriotique. Le bon Aymé Kunc reste - uniquement ? - célèbre pour avoir remporté le Prix de Rome en 1902 devant Ravel. Sa Pensée musicale de 1916 est une belle et forte mélodie pour soprano vocalisante, harpe, piano et harmonium, évoluant joliment d'un climat triste à une fin apaisée en passant par un épisode plus tendu. Belle interprétation de la chanteuse Sonia Sempéré, de la harpiste Sandrine Chatron et du pianiste Jérôme Granjon. Mais la pièce maîtresse de ce CD original est, sans conteste, formée par les Pagine di guerra d'Alfredo Casella, inspirées par des films d'actualité (1915). Ecrites pour piano à quatre mains, elles sont ici transcrites pour piano et harmonium. Toutes brèves (elles ne totalisent que huit minutes), elles tranchent par un langage nettement plus moderne, dès la première, très motorique, dédiée à... la Belgique. Suivront la France et la cathédrale de Reims, la Russie et sa cavalerie cosaque, et l'Alsace, cette dernière d'une poésie poignante. Encore une nouvelle facette de Casella, un musicien que notre époque redécouvre avec grand intérêt.
Son 9 - Livret 9 - Répertoire 8 - Interprétation 10

Volume XIV. Sérénade
Oeuvres pour quatuor à cordes de Paul Hindemith, Igor Stravinsky, Jacques de la Presle, Ernst Toch et Darius Milhaud
Quatuor CALIDORE
2016-66' 50''-Textes de présentation en français et en anglais-Hortus 714

Le troisième quatuor (et non le quatrième, comme indiqué), est le plus connu des six que composa Hindemith. Ecrit en 1921, il annonce parfois Bartok par sa construction en arche, et la puissance de son inspiration. L'écriture est soit polytonale, soit librement atonale. Le Ruhige Viertel est centré sur un mouvement de marche "lointaine et répétitive qui exerce un effet quasi hypnotique" (Bernard Fournier). L'interprétation du quatuor Calidore paraît très concentrée, plus acerbe que celle du quatuor Kocian, par exemple. A défaut de véritable quatuor (on a même parlé de "déni" du genre), Stravinsky a écrit quelques pages pour cette formation dont les Trois pièces de 1914. Très brèves, elles témoignent d'un sens aigu de la recherche, en particulier la deuxième, où l'on a pu - à tort - déceler l'influence de Schönberg. Dans un précédent volume de la série, nous avions déjà rencontré le nom de Jacques de la Presle (1888-1969). Ce futur grand prix de Rome (1921) avait été gazé en 1918, et sa Suite en Sol a été composée sous les bombes. En trois petites pièces, elle décline un néo-classicisme charmant (Menuet, Chanson intime) et même lumineux sur la fin (Fêtes). Autre musicien peu connu, Ernst Toch (1887-1964) se considérait comme "le compositeur le plus radicalement oublié du monde entier". Célébré à l'égal d'Hindemith ou de Krenek, il dut s'exiler dès 1933 pour terminer une carrière aux Etats-Unis, entre autres en tant que pourvoyeur de musiques de film. Il écrivit aussi non moins de sept symphonies et treize quatuors à cordes. La Sérénade pour deux violons et alto date de 1916, et alterne d'heureuse façon lyrisme charmeur et style expressionniste. Des dix-huit quatuors de Milhaud, le quatrième est peut-être le plus familier. Assez court (un peu plus de onze minutes), il résume, en trois mouvements diversifiés, sa personnalité de l'époque (1918). A un premier mouvement vif et primesautier, très polytonal, succèdent un mouvement funèbre, tel une lente déploration au climat tendu, et un final en forme de joyeux rondo à trois couplets. Ce volume XIV, très réussi, doit beaucoup à la motivation et à la perfection du jeu d'un Quatuor qui a amalgamé les mots "Californie" et "doré" pour former son nom.
Bruno Peeters

Son 9 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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