Les "Piano Days" à Flagey : une belle réussite !

par

Rémi Geniet
Sergeï Rachmaninov : Liebesleid (d'après F. Kreisler) - Liebesfreud (d'après F. Kreisler) - Berceuse (d'après Tchaïkovsky)
Franz Liszt : Sonate en si mineur
Ce dimanche était le dernier jour des Piano Days à Flagey. Beau festival où l'on a u pu entendre du 19 au 23 février un panel des grands pianistes d'aujourd'hui toutes générations confondues. Les plus grands noms du piano étaient au rendez-vous ainsi que les deux premiers prix de la dernière session piano du Concours Reine Elisabeth : Boris Giltburg et Rémi Geniet. Le programme choisi par Rémi Geniet pour son retour à Flagey n'était autre que le récital non choisi par le jury lors de sa demi-finale au Concours en mai dernier. Autant dire que sa Sonate de Liszt était rodée ainsi que Liebesleid de Kreisler-Rachmaninov. Rémi Geniet a toujours cette magnifique concentration avant de débuter une pièce, il donne l'impression d'une grande maîtrise de soi et d'un calme olympien. Le début de la Sonate de Liszt fut parfaitement réussi ; clair, net dans les attaques, pas trop alangui dans les énoncés des différents thèmes et d'une énergie qui laissait présager de la suite. Dès la deuxième page on comprit que l'on avait affaire à un autre pianiste que celui qu'on avait connu au concours. Si l'on se souvient bien, le candidat Geniet était tout ce qu'un jury pouvait espérer ; sobre, précautionneux, constant et plus que prêt… Le résultat est là pour le prouver. Ce dimanche après-midi, le public de Flagey a eu la chance d'entendre toutes ces qualités mais avec en plus la fougue et les prises de risques que l'on n'avait peut-être pas lors du concours. Chose bien compréhensible pour un enjeu de ce niveau-là, mieux vaut ne pas prendre de risques inutiles. Rémi Geniet nous a offert une Sonate de Liszt à couper le souffle, rapide, véloce, sauvage et d'une poigne admirable. Le fameux passage fugué au milieu de l'oeuvre fut pris à une allure folle mais constamment clair, construit, conduit et phrasé. Ce tout jeune pianiste a la capacité de rester toujours limpide même s'il prend des tempos ultra rapides. Techniquement, ce fut époustouflant et très risqué. Geniet ne fait pas partie des pianistes qui posent leurs notes afin de ne pas glisser, qui ralentissent les fins de phrases afin de ne pas les écorcher ou élargissent le tempo quand cela devient trop complexe, etc... Non. Geniet ne rechigne pas à y aller quand il faut y aller, sa tête est si claire qu'il n'en sourcille même pas. L'oeuvre est sue et comprise jusque dans les moindres détails. Jouer cette oeuvre-ci comme il l'a fait aujourd'hui laisse donneur quant à la suite de sa carrière. Une telle maîtrise étonne toujours quand on se souvient de son âge. Vingt ans. La suite du concert était d'une ambiance plus légère. Le jeu aisé de Geniet est parfait pour les trois transcriptions volatiles de Rachmaninov. A l'écoute ces pièces sonnent faciles et voire kitsch mais en réalité elles sont diaboliquement difficiles à jouer correctement et pour qu'elles sonnent faciles, il en faut des heures de travail ! Mais quand on sait que ce jeune homme passe à peu près 13 heures par jour devant son piano on se dit qu'il n'y a pas de secret. Le travail et encore le travail. Ces pièces ont été parfaitement comprises par Rémi Geniet ; légères, subtiles et d'un rien mièvres. Le piège étant d'en faire des oeuvres trop parfumées frôlant l'indécence. Là encore, Geniet n'est pas tombé dans le piège et n'a jamais été excessif dans ses rubatos. Ce qui aurait pu n'être qu'un démonstration de virtuosité fut en vérité un vrai moment de délice musical. Les phrasés sont ciselés au centimètre près et les agogiques parfaitement contrôlées. Décidément, même dans des oeuvres non sérieuses, Geniet parvient à être impressionnant. Tant de jeunes pianistes se jetteraient dans ce genre d'oeuvres pour montrer qu'ils peuvent aller vite et fort. Geniet, à vingt ans a déjà dépassé le stade d'épater la galerie. Un vrai plaisir de le retrouver, détendu et fougueux.
François Mardirossian
Bruxelles, Flagey, Studio 1, le 23 février 2014

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