Les quatuors de l’âme
Erwin SCHULHOFF
(1894 - 1942)
Intégrale des quatuors à cordes
Alma Quartet
DDD–2017–56’ 29’’ et 54’ 01’’–Texte de présentation en anglais–Gutman CD NR 161
Longtemps méconnue et délaissée, pour ne pas dire sciemment mise à l’écart, l’œuvre d’Erwin Schulhoff sort petit à petit du purgatoire de la musique et fait l’objet, à intervalles réguliers, d’intéressants enregistrements discographiques. Le présent album en est une nouvelle illustration. Y figurent toutes les pièces que le compositeur praguois a écrit pour quatuor à cordes, savoir le Quatuor n° 1, le Quatuor n° 2, le Divertissement pour quatuor à cordes, les Cinq pièces pour quatuor à cordes, ainsi que trois petits morceaux « à la manière de » et le Quatuor à cordes n°… 0, prélude en quelque sorte des deux autres numérotés 1 et 2, une œuvre datant de 1918 et encore fortement marquée par l’héritage immense et vertigineux des grands classiques, Mozart, Haydn, Beethoven et Schubert. Par contraste, le Quatuor n° 1 et le Quatuor n° 2, composés en 1924 et en 1925, sont extrêmement personnels, même si certains phrasés rappellent un peu les deux premiers de Béla Bartók, et traduisent fort bien les émois, les inquiétudes, les secousses, les troubles d’un homme qui est musicien dans l’âme, qui l’est au plus profond de lui-même, mais qui se sent mal dans sa peau et le sera davantage au cours des années 1930. Faut-il en effet rappeler que Boris Schulhoff était juif, communiste, homosexuel et avant-gardiste, et qu’il représentait et accumulait donc à lui seul, aux yeux des nazis, toutes les tares du monde ? Et fait-il rappeler qu’il est mort dans un camp de déportation, où il a pourtant continué d’écrire jusqu’à ses tout derniers jours ? Bien entendu, il est aujourd’hui facile de commenter sa musique pour quatuor à cordes en sachant, avec le recul du temps, quel a été son terrible destin : restituée en l’occurrence par l’Alma Quartet, une formation hollandaise comprenant des membres du Concertgebouw d’Amsterdam, elle est réellement tendue, comme crispée, presque farouche. Et c’est pourquoi, sans nul doute, elle est si prenante.
Jean-Baptiste Baronian
Son 8 – Livret 6 – Répertoire 8 – Interprétation 9