Les Troyens en avalanches de coupures

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Pour deux soirs, l’Opéra de Marseille a présenté en concert une pseudo-intégrale des ‘Troyens’. Sur une durée cinq heures, dans une salle surchauffée, pourquoi faut-il glisser une pause de vingt minutes entre chacun des cinq actes ? Ceci expliquerait l’avalanche de coupures pratiquées dans les deux parties par un chef, Lawrence Foster, qui morcèle le discours sans en percevoir la dimension épico-narrative. Comment concevoir, dans ’La Prise de Troie’, que le chœur, dont la qualité n’est pas mise en doute, soit présent sur scène, alors qu’il commente l’entrée du cheval de Troie, obligeant la malheureuse Béatrice Uria-Monzon à forcer ses moyens pour livrer les imprécations de Cassandre ? Il faut dire qu’elle sera bien plus convaincante sous les traits de Didon, atteignant à une bouleversante émotion dans la scène finale. Face à elle, Roberto Alagna s’empare du rôle d’Enée ; sa diction française fait merveille, alors que l’on a dû se contenter souvent de bouillies approximatives dont atteste le disque. A son entrée en scène, il joue les matamores un peu cabotins ; mais dans le sublime duo ‘Nuit d’ivresse et d’extase infinie’, Il cultive les sons filés pour susciter les souvenirs élégiaques. Mais sa scène « Inutiles regrets ! » au dernier acte doit se contenter d’aigus ‘à l’arrachée’ qui laisseront de marbre un spectateur du premier rang, bras croisés, se refusant d’applaudir ; et notre ténor enjambera la fosse d’orchestre recouverte pour empoigner ce vieux monsieur, bardé de son droit légitime, ce que manifestera le ‘poulailler’ vociférant.
Outre la prestation de l’orchestre, de grande qualité, il faut encore citer l’ensemble convaincant des solistes, français pour la plupart, dont Marc Barrard (Chorèbe), Alexandre Duhamel (Panthée/Mercure), Nicolas Courjal (Panthée/Mercure), Clémentine Margaine (Anna) et Marie Kalinine (Ascagne). Dommage que Gregory Warren ait égratigné l’aigu dans sa double composition du poète Iopas et de la vigie Hylas ! En résumé, une soirée en tons mitigés…
Paul-André Demierre
Marseille, Opéra, le 15 juillet 2013

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