Les variations Stravinski

par

Igor STRAVINSKI
(1882-1971)
Petrouchka (version pour orchestre et version pour piano à quatre mains)
Sinfonieorchester Basel, dir. : Dennis RUSSELL DAVIES (également au piano), Maki NAMEKAWA (piano)
DDD–2016–74’ 45’’–Textes de présentation en allemand et anglais–SOB 11

616RrieS+ZL._SL1200_0126_JOKERThreni–Requiem Canticles
Collegium Vocale Gent, Royal Flemish Philharmonic, dir. : Philippe HERREWEGHE
DDD–2016-47’ 22’’–Textes de présentation en anglais, français, néerlandais et allemand–PHI LPH020

Pour des raisons qui ne sont pas toujours très claires ni très compréhensibles, Igor Stravinski a éprouvé le besoin, dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, de revenir sur certaines de ses premières œuvres et d’en écrire une nouvelle version. Il a ainsi remodelé en 1946 son ballet Petrouchka, dont la partition originale date de 1911. Mais dès 1921, il en avait déjà proposé une version pour piano seul intitulée Trois mouvements de Petrouchka. Par la suite, il en a donné une version pour piano à quatre mains, avant de composer diverses suites à partir des airs les plus célèbres de son ballet. La très populaire Dans russe a par exemple fait l’objet d’un arrangement pour violon et piano, qu’Igor Stravinski a lui-même créé en 1932, aux côtés du violoniste Samuel Dushkin.
Le chef d’orchestre et pianiste américain Dennis Russell Davies a eu l’heureuse idée d’enregistrer deux Petrouchka : la version de 1911 avec l’Orchestre  symphonique de Bâle et la version pour piano à quatre mains avec Maki Namekawa. Bizarrement, le timing des deux œuvres n’est pas identique. D’une manière générale, la version pour piano à quatre mains est plus longue que la version orchestrale originale. La « Danse des nounous », le deuxième mouvement du quatrième tableau, dure ainsi près d’une minute de plus (5’ 55’’ contre 5’ 02’’ – ce qui, en l’occurrence, est énorme). Cette version pour piano à quatre mains est par ailleurs beaucoup trop percussive et, forcément, elle est loin de rendre toutes les subtilités et les trouvailles de la version orchestrale de 1911, laquelle demeure un pur chef-d’œuvre et que Dennis Russell Davies dirige avec un remarquable sens des rythmes.

Son  9  –  Livret  6  –  Répertoire 10  –  Interprétation  10

La question de l’évolution musicale d’Igor Stravinski est désormais un vieux débat : quel est le dénominateur commun entre l’Igor Stravinski qui est le compositeur le plus novateur des années 1910 et 1920, l’Igor Stravinski qui se lance ensuite dans le néo-classicisme, puis l’Igor Stravinski qui est attiré par le dodécaphonisme et, enfin, l’Igor Stravinski qui écrit une musique d’inspiration religieuse dépouillée à l’extrême, à une époque où Arvo Pärt n’en est encore qu’à chercher sa voie ? Chaque musicologue a sa réponse – bonne ou mauvaise, pertinente ou farfelue. Et chaque mélomane aussi. Ce qui est sûr, c’est que des œuvres telles que Threni et Requiem Canticles, qui datent respectivement de 1958 et 1966, donnent l’impression d’être hors du temps – du temps musical. Ou plutôt d’être d’étonnantes et fulgurantes réminiscences de maîtres anciens, à l’instar de Carlo Gesualdo. Et c’est un peu comme si, en les écrivant, Igor Stravinski avait voulu boucler la boucle de la musique occidentale, après l’avoir bousculée de fond en comble selon sa propre grammaire, en 1913, avec Le Sacre du printemps. Philippe Herreweghe, le Collegium Vocale Gent et le Royal Flemish Philharmonic, inséparables ou presque, sont en parfaite symbiose dans ces deux moments d’éternité.
Jean-Baptiste Baronian

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