L'heure des opéras de Rimsky serait-elle venue ?

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Le Coq d'Or. P. Hunka (Tzar Dodon), A. Dolgov (Tzarevich Guidon), K. Shushakov (Tzarevich Afron) © Baus:Munt-Monnaie

Le Coq d'or à La Monnaie
En 1981, la Belgique avait découvert le dernier opéra de Rimsky-Korsakov, à Liège, en version française, avec un éblouissant Jules Bastin en tsar Dodon. Revoici ce chef-d'oeuvre, en russe cette fois. Si la mise en scène de l'époque (Laco Adamik) soulignait l'imparable côté comique du livret, Laurent Pelly prend la chose beaucoup plus au sérieux. Il refuse toute actualisation, et situe l'action en dehors du temps, pour en démontrer précisément l'actualité : "morale dirigée contre la bêtise (...) fable sur le parjure et le mensonge", Pelly démontre d'une main de fer jusqu'où peut mener le caprice et la folie de l'autorité. Toutes proportions gardées, on pourrait penser à La Grande-Duchesse de Gerolstein de Meilhac-Halévy/Offenbach, dans le portrait au vitriol d'un souverain absurde. Dodon dirige de son lit, en pyjama, sur un tas de charbon, et son entourage est grotesque. Seule la reine de Chemakha, toute d'argent vêtue, surgit d'une conque dorée, prête à dévorer. Et le Coq ? Il évolue en pavanant, plumes orange au vent, pour le plus grand plaisir de l'Astrologue, figure inquiétante aux cheveux longs. Il annonce au prologue et conclut à l'épilogue. Mais il meurt quand même, le crâne percé par le sceptre de Dodon. La reine seule survit, en riant. Oui, Le Coq d'or est une fable, cruelle et amusante en même temps, voulue comme telle par Pouchkine, dont le librettiste Bielski s'est inspiré, mais elle paraît si vraie qu'elle donne froid dans le dos. Et c'est là tout le génie d'un Rimsky-Korsakov, âgé mais bien lucide, d'avoir voulu terminer sa carrière lyrique (15 opéras !) sur cet audacieux pied de nez à l'autoritarisme. Créé un an après sa mort, en 1909, cet opéra fait encore et toujours réfléchir le public. De magnifiques interprètes russes chantaient dans leur arbre généalogique. et il semble difficile de les départager. A tout seigneur tout honneur, le tsar Dodon de Pavlo Hunka s'est révélé excellent acteur, aspect essentiel de son rôle, car il est tout le temps en scène et bon chanteur dans son seul air, au premier acte. La reine de Chemakha de Venera Gimadieva, a allié les cocottes de ses deux airs, en véritable colorature, avec la perfidie requise lorsqu'elle séduit Dodon et le force à danser. Et les deux contre-mi étaient là ! Les autres rôles étaient bien distribués : beau mezzo d'Agnes Zwierko pour l'intendante Amelfa, parfaits fils idiots du tsar (Alexei Dolgov et Konstantin Shushakov), et général Polkan tremblotant d'Alexander Vassiliev. L'Astrologue bizarre et le Coq étaient incarnés à la perfection par le tenorino Alexander Kravets et la soprano Sheva Tehoval. Alain Altinoglu inaugurait avec cette soirée son mandat de directeur musical du Théâtre Royal de la Monnaie. Il le fit avec brio, soulignant les soli instrumentaux dont le compositeur, virtuose de l'orchestre, a parsemé sa partition (flûte, basson - et contrebasson ! -,  hautbois, harpe). Beau jeu d'un choeur parvenu à s'identifier au grotesque de ses interventions, en particulier dans le court mais exigeant troisième acte. Cette exemplaire réussite laisse augurer un retour des opéras de Rimsky-Korsakov sur nos scènes, espéré depuis longtemps : Sniegourotchka en avril à l'Opéra de Paris, Sadko à l'opéra d'Anvers, en juin : son heure serait-elle venue ?
Bruno Peeters
Bruxelles, Palais de La Monnaie, Tour & Taxis, le 13 décembre 2016

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