Lille Piano Festival 2016

par

Alors que l’Euro de football bat actuellement son plein en France, le Lille Piano Festival s’est à nouveau imposé en 2016 puisque près de 14 000 personnes arpentaient ce weekend les différents lieux et salles de spectacles de la région. Avec comme fil conducteur les pères de la musique, à savoir Bach et Mozart, le festival revenait pour cette treizième édition aux sources tout en proposant néanmoins d’autres rendez-vous surprenants voire totalement décalés. Ce fut notamment le cas avec le concert donné samedi par Nicolas Stavy et Jean-Claude Gengembre, « Piano, cloches et autres claviers » qui permit au public de découvrir l’étroite relation entre les percussions et les claviers en général. Ce fut surtout l’occasion d’entendre, après des arrangements par Jean-Claude Gengembre de pièces de Franck (Les cloches du soir) et Debussy (Les cloches), la Sonate n°7 de Boris Tishchenko, que les deux artistes viennent de graver sur disque et défendue avec vigueur. Douée d’un langage profond et incisif, cette Sonate pour piano et coches saisit l’auditeur par ses nombreux contrastes et son dialogue fourni entre les différents instruments utilisés. Plus encore, Tishchenko parvient si bien à faire fondre les différents sons et timbres produits qu’une ambiance naturelle et homogène émerge. Autre transcription en bis, celle d’une polka de Chostakovich qui voit le pianiste Nicolas Stavy rejoindre, le temps de quelques mesures, les percussions. Plus tard et dans l’Auditorium du Nouveau-Siècle, « Piano à 4 et 8 mains » réunissaient sur scène un invité régulier et apprécié du festival, Wilhem Latchoumia, accompagné de trois autres pianistes tout aussi passionnants et férus d’originalité : Marie Vermeulin, Vanessa Wagner et Cédric Tiberghien. L’apothéose, sous forme d’un feu d’artifices, était bien évidemment la lecture d’Amériques d’Edgar Varèse, présentée sous la version à quatre pianistes de la main de l’auteur. Si les quatre pianistes possèdent indubitablement des techniques pianistiques parfaites et un sens naturel de la direction, ils ont également démontré leur capacité et facilité à dialoguer et à créer une connexion entre eux. Et c’est cette connexion qui a fait de ce concert un moment privilégié et inoubliable. Un Debussy (« Nuages ») tout en légèreté et limpidité suivi d’un Stravinsky (Le Sacre du printemps) tribal, percussif, mesuré et parfois enlevé, complétaient le reste du concert.
Deux autres évènements étroitement liés se succédaient en fin de journée, en compagnie de l’Orchestre de Picardie invité pour l’occasion. « 1,2,3 Bach » et « 1,2,3 Mozart » se démarquaient par leur originalité : quatre pianistes, six concertos pour un, deux ou trois pianos. Figure de proue et infatigable interprète, Anne Queffélec était accompagnée pour le Concerto pour trois pianos BWV 1063 de Bach des sœurs Bizjak. A l’unisson et dans un équilibre idéal, elles développent un jeu pétillant, doté d’une grande sensibilité et d’un sens admirable du discours et de la direction. Il faut dire que Arie Van Beek et l’Orchestre de Picardie sont des accompagnateurs de haut vol. Un sens raffiné du langage, de l’architecture, du phrasé et du style perce dans chaque concerto, offrant de fait une interprétation élégante. L’occasion aussi pour le public d’entendre le très jeune lauréat du Concours Long Thibaud Crespin 2015, Julian Trevelyan, qui défend le Concerto pour piano n°9 de Mozart honorablement malgré quelques difficultés à passer au-dessus de l’orchestre. Mais le jeu du pianiste est, pour son jeune âge, mature, construit et élégant. Sa lecture de « Reflets dans l’eau » de Debussy en bis est le témoin d’une belle sensibilité : limpidité, et toucher d’une douceur indicible. Quant à Lidija et Sanja Bizjak, c’est une révélation agréable qui fut la représentation d’une communion parfaite, communion que l’on a retrouvée dans le Concerto pour trois pianos K 242 de Mozart, cette fois en compagnie de Julian Trevelyan. Le Lille Piano Festival se concluait dimanche soir par un feu d’artifices musical et instrumental du Boléro de Ravel entendu à deux reprises. Insufflant une ambiance idéale, Wilhem Latchoumia et Marie Vermeulin saisissent au piano toute l’inventivité de la partition de Ravel, marquée par un soin particulier du toucher et du phrasé. Juste après, Jean-Claude Casadesus reprenait la baguette, toujours aussi imagée et colorée, pour diriger ce même Boléro, cette fois à l’orchestre. Aucune monotonie n’est venue teinter cette lecture pour un orchestre galvanisé. En première partie, Boris Berezovsky faisait l’honneur de sa présence avec une lecture magistrale du Concerto pour piano n°2 de Chopin. En compagnie de la baguette attentive et dynamique de Jean-Claude Casadesus - débordant comme toujours d’énergie - et d’un orchestre attentif et précis, Berezovsky développe dans chaque mouvement un calme serein, une attitude tranquille qui rendent l’exécution exceptionnelle, tout comme sa lecture de la Première étude Op. 10, transparente et lumineuse.
Le Lille Piano Festival, c’est aussi l’occasion de découvrir le piano sous bien d’autres facettes : jazz, jeu-vidéo, ciné-concert, conférences, récitals… Nul doute que cette édition aura à nouveau marqué les esprits et fait de nombreux de fidèles grâce une programmation éclectique et ouverte à tous.
Ayrton Desimpelaere
Lille, samedi 18 et dimanche 19 juin 2016

Les commentaires sont clos.