L'Italie et ses Madrigalistes

par Jean-Marie Marchal

 

La terre délection du madrigal était depuis longtemps muette. L'Italie, creuset de cette tradition et berceau des Marenzio, Monteverdi, Gastoldi et autres Banchieri, cherchait sa voie (ses voix) en une quête difficile et tâtonnante destinée à renouer avec son glorieux passé. Etonnamment absente du mouvement de redécouverte de la musique ancienne qui secouait pourtant l'Europe depuis plusieurs dizaines d'années (lequel exposait enfin en pleine lumière un répertoire dont elle pouvait à juste titre s'enorgueillir), la Péninsule laissait incompréhensiblement à d'autres le soin de traduire une part importante de son propre génie. C'est que depuis la fin du XVIe siècle, les canons esthétiques s'étaient considérablement métamorphosés. L'Italie avait d'ailleurs joué un rôle moteur dans cette évolution conduisant à une expression vocale sans cesse plus individualisée et plus extravertie. Embrassant successivement, et avec toujours autant de bonheur, la spontanéité jaillissante du baroque, la vocalité virtuose du bel canto et l'expressivité passionnée du vérisme, les Italiens n'avaient cessé de s'éloigner de l'idéal sonore de la Renaissance, laissant à d'autres, qui restaient en contact avec ce dernier par tradition, le soin d'en conserver le témoignage. C'est ainsi qu'en ces temps de redécouverte, les musiciens anglais n'avaient pas manqué de se positionner en champions de "l'orthodoxie renaissante" en cultivant d'évidentes vertus de plénitude sonore, d'équilibre subtil et permanent, de raffinement et d'élégance dans l'expression. Pour autant, la cause était-elle perdue pour l'Italie? Fort heureusement non! Depuis peu, les madrigalistes italiens sont de retour, et c'est comme un nouveau monde qui s'ouvre... celui d'une correspondance retrouvée et unique entre poésie et musique, où le verbe et la note fusionnent comme jamais. Le madrigal y retrouve toutes ses couleurs, celles du théâtre des passions qui rebondit ou s'épanche aux seules respirations du coeur. Groupés autour de 1'excellent Rinaldo Alessandrini, ce sont les membres du Concerto italiano qui incarnent ce renouveau et bousculent nos habitudes. Leurs interprétations des madrigaux de Marenzio, Monteverdi ou Frescobaldi surprennent par leur densité nouvelle, forgée à la flamme d'une vibrante intériorité. L'art de ces nouveaux maîtres du madrigal frappe en effet l'imagination non seulement par son intelligence, sa virtuosité et sa sensibilité, mais aussi par sa couleur vocale inimitable. Car on fête ici le grand retour d'un chant sensuel d'une grâce ensorcelante réellement inégalable, qui magnifie l'expression madrigalesque en la replongeant dans ses racines. Quel bonheur que de retrouver ces voix latines de chair et de sang, chaudes et épanouies, qui explorent plus profondément encore les charmes d'une musique fervente et flamboyante pour mieux en exprimer la quintessence. Grâce à la réunion de quelques voix timbrées et expressives à l'émission flexible et spontanée, la recherche d'une grande unité de style et d'articulation peut enfin s'effectuer sans sacrifier d'aucune manière la diversité des couleurs vocales individuelles, à travers lesquelles s'exprime librement l'imagination musicale la plus pure. Ainsi réapprivoisé sous le signe d'une vocalité gorgée de soleil, l'art madrigalesque ne cesse de révéler des saveurs jusque-là insoupçonnées.
Jean-Marie Marchal

Maria Callas, la Voix Totale