L'Opéra Comique, trois cents ans de création

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Né en 1715, le Théâtre de l'Opéra Comique célébrait son tricentenaire la semaine dernière par un colloque consacré aux innombrables créations qui ont émaillé son histoire. Il était organisé en collaboration avec le Palazzetto Bru Zane - Centre de musique romantique française, et en prélude à la reprise de l'opéra-comique célèbre de Louis-Ferdinand Herold, Le Pré aux clercs, oeuvre emblématique du répertoire de la salle Favart où il a été représenté plus de 1600 fois.
Je n'ai pu assister à la première journée (le 19) , intitulée "Des Lumières au Préromantisme" et centrée sur le XVIIIe siècle. On y mettait en lumière, entre autres figures capitales, Favart lui-même, Nicolas Dalayrac ou Rose Dugazon. Le vendredi 20 était dédié à la grande époque, le siècle romantique. Alexandre Dratwicki et Etienne Jardin, tous deux éminents membres du Palazzetto Bru Zane, entamaient la journée  par une évocation de l'opéra-comique Le Dilettante d'Avignon de Fromental Halévy. Cela donne le ton, assez "pointu", des thèmes abordés lors du colloque qui attira une bonne centaine de passionnés salle Bizet. Avec de multiples exemples musicaux, les intervenants soulignaient les fréquents rapports entre musique italienne et française, ici objet même de la trame de l'ouvrage d'Halévy. Chef-d'oeuvre parmi les chefs-d'oeuvre et parangon du genre, La Dame blanche fit l'objet de deux communications. Hervé Lacombe conta tout d'abord les fortunes et infortunes de l’oeuvre, du succès "national" en 1825 à son statut de pièce de musée à l'époque de Bizet ("Mort à la Dame blanche !" s'écriait-il). Il termina d'ailleurs par une audacieuse et brillante comparaison entre Carmen et Anna. Joann Elart poursuivit par un tracé du parcours biographique de Boieldieu (sans oublier la parenthèse russe), son succès posthume et l'aspect politique du livret : comme Louis XVIII, Georges Brown revient prendre possession du domaine ancestral qu'un usurpateur lui avait ravi... En fin de matinée, un zoom (par Stella Rollet) sur la production de Donizetti pour la salle Favart, soit essentiellement La Fille du Régiment (1840), malgré d'autres essais infructueux. Extrait musical ? Le "Salut à la France", bien sûr !

L'après-midi passait quatre compositeurs bien différents en revue. Fouettant les participants après l'heure de table, Sabine Teulon-Lardic nous entretint du Postillon de Lonjumeau d'Adolphe Adam, en en décryptant, pour le plus grand plaisir de tous, les deux meilleurs moments, la ronde de Chapelou et le trio "Pendu ! pendu !". Suivaient Wagner, Berlioz et Gounod. Pour le premier, Agnès Terrier, dramaturge et âme des colloques, aborda Das Liebesverbot (1836) ou plutôt sa version française, La Défense d'aimer, présentée en vain par le compositeur à Paris en 1840. Quelques extraits musicaux pourraient-ils convaincre de remonter cette version d'une oeuvre fort influencée par Rossini, Auber, Herold et consorts ? Pourquoi pas ? Berlioz (Alban Ramaut), n'était pas représenté par Béatrice et Benedict, commande de Baden-Baden, mais bien par La Damnation de Faust, créée au concert à l'Opéra Comique en 1846. Gounod enfin était vaillamment défendu par son plus ardent spécialiste, Gérard Condé. Il passa sur les projets avortés tels un opéra berrichon sur un sujet de Georges Sand ou un ouvrage d'après Alexandre Dumas, pour s'étendre sur Le Médecin malgré lui, Georges Dandin, Philémon et Baucis, La Colombe et ce Cinq-Mars récemment donné à Versailles après Vienne et Munich. Très pince-sans-rire, Condé conquit sans peine l'auditoire et termina par d'intéressants commentaires sur les rapports complexes que Gounod entretenait avec la religion.

Pour entamer joyeusement la journée du samedi sous-titrée "Fin de siècle et modernité", Jean-Claude Yon parcourut la carrière à l'Opéra Comique de son musicien fétiche : Jacques Offenbach. De Barkouf àFantasio en passant par Robinson Crusoe ou Vert-vert, Offenbach n'y connut que des échecs. La reconnaissance tant espérée n'intervint qu'avec l'éclatant succès des Contes d'Hoffmann, hélas posthume (1881). Saint-Saëns ne fut pas beaucoup plus heureux dans le genre, et Marie-Gabrielle Soret, qui a édité les écrits du compositeur, a longuement suivi pour nous les avatars du premier essai du Maître, Le Timbre d'argent, conçu dès 1864 et créé en... 1877. Le peintre Conrad obtient du diable une petite sonnette : chaque fois qu'il la frappe, un voeu s'exauce mais une personne de son entourage meurt. Sur cet excellent canevas, Saint-Saëns composa un petit bijou, admiré par Bizet, voulant renouveler le répertoire : on attend toujours sa redécouverte. Autre communication pointue mais passionnante : Jean-Christophe Branger a décortiqué une partition d'Esclarmonde de Massenet reposant à la Morgan Library et annotée par Chabrier. L'auteur de Gwendoline y repère les références wagnériennes tant remarquées à l'époque, les incongruités du livret, mais aussi bon nombre de passages musicaux dont il souligne les beautés. Une appréciation "en direct" en quelque sorte. La matinée se conclut sur une analyse de Kassya, l'opéra laissé inachevé par Léo Delibes, et terminé par Massenet. Pauline Girard s'interrogeait sur les raisons de son insuccès. Incendie du bâtiment en 1887 ?  Nullité du livret ? Interprétation peu ressentie ? Anachronisme du langage en 1893 en plein essor wagnérien ? Seuls quelques airs de ballet en sont encore connus. Le colloque allait se terminer par une évocation de deux figures essentielles : Albert Carré et Alfred Bruneau. Le premier fut directeur de la salle Favart quasiment sans interruption de 1898 à 1925. Philippe Blay souligna sa volonté de renouveler de fond en comble la vieille maison, soutenu par son chef d'orchestre André Messager, et décrypta ses premières créations : L'Île des rêves de Reynaldo Hahn, Fervaal de Vincent d'Indy, et La Vie de bohème de Puccini. Mais Carré fut aussi librettiste, comme nous le rappela Michela Niccolai, pour Messager (La Basoche 1890) mais aussi pour Elsa Barraine (Le Roi bossu 1932). Alfred Bruneau, quant à lui, représente le courant naturaliste triomphant fin du XIXe siècle. Jean-Sébastien Macke s'attarda sur la rencontre historique du jeune compositeur d'un seul opéra et d'un Requiem avec le grand écrivain Emile Zola en 1888. Allait suivre une série d'ouvrages remarquables, inaugurée par Le Rêve (1891). Zola écrirait lui-même les livrets de L'Attaque du moulin, Messidor, L'Ouragan et L'Enfant-Roi. Après la mort de l'écrivain, Bruneau produirait encore en 1907 une musique de scène pour La Faute de l'Abbé Mouret avant de s'éteindre, comblé d'honneurs mais oublié, en 1934. De beaux extraits sonores illustraient l'exposé.
A Vincent Giroud a échu l'honneur d'écrire la coda du colloque : en une fascinante demi-heure, il nous détailla la place prise par les opéras de Massenet dans l'entre-deux-guerres, statistiques à l'appui. Intéressant à savoir : Werther, jugé trop court, était souvent couplé avec un autre opéra: Cavalleria rusticana, L'Enfant et les sortilèges, Le Pauvre matelot. Autres temps, autres moeurs. Hit-parade de la popularité : Manon, Werther, Le Jongleur de Notre-Dame, puis, loin derrière, La Navarraise, Thérèse et Sapho. A partir de 1945, Massenet connut son purgatoire, lequel ne prit fin que dans les années 1980 mais ceci est une autre histoire.
Passionnant colloque donc, plutôt spécialisé sans doute, mais dont l'organisation même atteste de la vitalité d'un genre en pleine effervescence.
Prochain colloque les 11 et 12 juin 2015 : « Comment monter l'opéra français, bilan et perpectives. »
Bruno Peeters
Paris, Opéra Comique, 20 et 21 mars 2015

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