L'Ouverture de La Fenice

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A la Fenice de Venise, ouverture de saison avec ‘L’Africaine’ de Meyerbeer 
Pour commémorer le 150ème anniversaire de la mort de Giacomo Meyerbeer, la Fenice ouvre sa saison avec son dernier ouvrage, ‘L’Africaine’, créé à l’Opéra de Paris le 28 avril 1865, près d’un an après la disparition du musicien. La Fenice en a donné quatre éditions à partir de mai 1868 ; mais la dernière date de janvier 1892.
Il aura donc fallu attendre cent vingt ans pour la revoir à l’affiche du théâtre vénitien. Dans des décors stylisés de Massimo Checchetto et des costumes de Carlos Tieppo évoquant le Portugal du XVème siècle, la mise en scène de Leo Muscato nous confronte à l’omnipotence de l’Inquisition, accusant d’hérésie un Vasco de Gama qui parle de terres au-delà de l’Afrique dont la Bible ne dit mot et massacrant gratuitement les détenus de ses geôles sordides ; quel souffle dramatique arraisonne ensuite le vaisseau de Don Pedro, pris dans la tempête, puis innerve la cérémonie nuptiale unissant à mauvaise fortune Vasco et Sélika ; et il suffira d’un praticable amenant à un mancenillier pour que l’héroïne puisse rejoindre dans la mort celui que le sort lui refuse.
Sous la direction d’Emmanuel Villaume, les Chœurs et Orchestre du Teatro La Fenice peinent à trouver leurs marques véritables lors des deux premiers actes, le sabir prononcé par les choristes n’ayant qu’un rapport minime avec la prosodie française ; mais dès le tableau maritime de l’acte III, s’instaure une tension tragique qui maintiendra le spectateur en haleine jusqu’aux dernières pages. La même considération peut être adressée au chant de Veronica Simeoni, totalement inintelligible au début (notamment dans la romance « Sur mes genoux, fils du soleil ») mais retrouvant une certaine assise, au fur et à mesure que progresse l’action. Quelle différence d’avec elle établit d’emblée le ténor américain Gregory Kunde qui pratique depuis longtemps la langue de Molière et perçoit le style héroïque de cette musique, même s’il lui manque les finesses de la romance « Beau paradis sorti de l’ombre ». Jessica Pratt possède les moyens du soprano vocalisant rendant justice au personnage d’Inès, alors que le baryton Angelo Veccia joue de la noirceur de son timbre pour camper un Nélusko vindicatif, dont les fureurs se gavent de mots incompréhensibles. Plus convaincantes à cet égard seront les incarnations de Luca Dall’Amico (Don Pedro) et de Ruben Amoretti (le Grand-Prêtre de Brahma). Mais dans l’ensemble, ouverture de saison réussie à Venise.
Paul-André Demierre

Venise, Teatro La Fenice, le 23 novembre 2013

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