Lugansky exceptionnel dans Brahms

par

Orchestre National de Belgique/Andrey Boreyko, direction/Nikolai Lugansky, piano
L’événement marquant de ce concert de l’Orchestre National se produisant devant une salle très bien remplie fut sans conteste un exceptionnel Concerto n° 1 pour piano et orchestre de Brahms que Nikolai Lugansky survola véritablement de sa classe, secondé par un chef complice et un orchestre transcendé.

Dès l’introduction véritablement cataclysmique de l’oeuvre propulsée par une Katia Godart exceptionnelle aux timbales, suivie par le tendre chant des violons aux couleurs doucement voilées, on se disait que quelque chose de beau risquait bien de se passer ce soir-là au Palais des Beaux-Arts, et l’on ne fut pas déçu. Le mérite en revient en premier lieu à l’interprétation de toute beauté que donna le pianiste russe de cette oeuvre longue et difficile, qui exige du soliste des qualités techniques et d’endurance hors du commun. Ce que fit Lugansky de ce chef-oeuvre n’appelle que des éloges: un premier mouvement abordé avec des moyens pianistiques apparemment illimités lui permettant d’aborder la partition sans crispation ni effort audible, ainsi que -plus important encore- une noblesse, une puissance sans brutalité, une sérénité, une profondeur sans poses, une finesse des coloris et des nuances, une poésie et une délicatesse qui n’appellent que des éloges dans cette musique d’un romantisme sauvage et prométhéen, rendu ici à la perfection. C’est véritablement un Brahms en fusion qu’offrirent ici un soliste péremptoire et un orchestre électrisé, au point qu’on s’étonna de ne pas entendre la salle applaudir à l’issue d’un premier mouvement où la tension n’était pas retombée un seul instant. Dans le délicat Adagio qui offrait une détente bienvenue après la démesure du Maestoso initial, Lugansky fit entendre un jeu exquisement poétique, une stupéfiante beauté de timbre, ainsi qu’une façon de ciseler le phrasé, la dynamique et la sonorité en orfèvre inspiré qui fit que certains paysages en vinrent à tenir du nocturne halluciné. Le Rondo final fut enlevé avec aisance et esprit, et une fraîcheur musicale et physique vraiment remarquable à l’issue de ce concerto-marathon si exigeant pour le soliste sur le plan tant de la technique que de l’interprétation. Le public, venu en nombre, fit une ovation vociférante et méritée au soliste, mais aussi au chef et à l’orchestre qui s’étaient montrés d’excellents partenaires d’un soliste aussi brillant qu’inspiré.
Andrey Boreyko -que sa présente coupe de cheveux et taille de barbe font étrangement ressembler au tsar Nicolas II- et l’ONB avaient ouvert le concert avec un Tombeau de Couperin de Ravel dont ils donnèrent une exécution soignée mais sans magie, et qui fut suivi d’un Chasseur maudit de Franck (enregistré il y a bien longtemps par l’orchestre sous la baguette d’André Cluytens) où l’orchestre se montra dans de bien meilleures dispositions sous la baguette de son directeur musical, assurant une excellente prestation d’ensemble (avec une mention spéciale pour les cuivres) et offrant une belle version de cette oeuvre qu’on entend toujours avec plaisir.
Patrice Lieberman
Bruxelles, Bozar, le 29 janvier 2016

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