Lulu à la Monnaie

par

Barbara Hannigan (Lulu)
Tom Randle (Maler & Neger) © Bernd Ulrig -

La Monnaie offre donc une nouvelle production de Lulu, l’opéra cruel d’Alban Berg (mise en scène Krzystof Warlikowski). Le metteur en scène a décidé de mettre en avant le côté professionnel de Lulu, son métier de danseuse et pour ce faire, il fait appel au Koninklijke Balletschool Antwerpen.

La distribution vocale est d’un niveau élevé, avec une performance exceptionnelle de Barbara Hannigan dans le rôle-titre. Elle investit totalement ce rôle sulfureux et piquant. Portée par le chant et la mise en scène à tel point, elle pousse à son apogée la Lulu obscène, dépravée, fragile et désespérée. Il en va de même pour Natascha Petrinsky (Gräfin Geschwitz), Dietrich Henschel (Dr. Schön & Jack l’Eventreur) et Charles Workman (Alwa). Frances Bourne (athlète et groom) incarne ses rôles à la perfection et son physique est fort proche de l’idée qu’on se fait de l’athlète, y ajoutant une belle expressivité et une excellente une prononciation de l’allemand. L’orchestre de la Monnaie et Paul Daniel brillent dans cette musique ardue : précision, justesse, émotions sont les mots-clés.

En Allemagne, à l’image de Schubert, l’idéal d’une musique réside en sa construction où le compositeur peut déployer ses émotions et faire une œuvre dramatique (il existe d’ailleurs quelques parallèles entre Lulu et la vie de Berg). Warlikowski a su plonger dans les profondeurs de ce sinistre opéra et la mise en scène souligne la structure en arche. Les décors et costumes (Malgorzata Szczesniak) sont modernes, simples et voire malsains. Le contraste entre la Lulu pure et la Lulu corrompue, cygne bl anc et cygne noir, est esthétique -d’autant que la chorégraphie est parfaite- pour rappeler la petite fille fragile et martyrisée, en quête d’un bonheur qu’on lui refuse. Le côté “trash” et érotique de la mise en scène souligne la magnifique perversité que Barbara Hannigan impose avec brio dans ses tenues suggestives, avec la participation spectaculaire et maitrisée de ses partenaires. Mais la pureté du cygne blanc a-t-elle besoin d’être surlignée par les innocents petits danseurs posés de manière un peu perverse au milieu d’une mise en scène audacieuse? Et l’écran géant où une très jeune danseuse se fait “manger” par un crocodile -rappel le viol de la jeune Lulu- avec son cadrage particulier? A chacun d’apprécier.

Cette Lulu aux réminiscences fulgurantes (fantômes de Lilith, Pandore, cygnes, enfance, amour fou et Albine, la fille de Berg) mêlant mythologie, passion et drame vécu par le compositeur nous donne à voir et entendre le terrible et désarment le chant du cygne à l’agonie, la libération par la mort de Lulu.

Ayrton Desimpelaere

Bruxelles, La Monnaie, 26 octobre 2012

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