Magistrale partition d'un adolescent de quatorze ans

par

Patricia Petibon et Myrto Papatanasiu © Vincent Pontet

Le rideau se lève sur un théâtre désaffecté, allusion au « Mithridate » de Racine à l'origine du livret mis en musique par Mozart. Ce décor (non visible côté jardin) présente l'inconvénient -outre le contresens sur ce qu'est l'opera seria- d'affadir cette histoire de sang, de haine, de parricide, de trahison, d'amour et de mort. Épices incendiaires qui innervent, justement, la magistrale partition d'un adolescent de quatorze ans. Le triomphe de ce « Mithridate » -hier comme aujourd'hui- est avant tout celui du jeune Mozart qui s'apprête alors à conquérir l'Italie. On est émerveillé à chaque instant devant tant de perspicacité, de vérité psychologique et musicale. Dans le cadre codifié de l'opera seria il parvient déjà à toucher, émouvoir, bouleverser. Pourtant, il n'a encore composé qu' « Apollo et Hyacinthus » (1767), « La Finta simplice » (1769) et « Bastien et Bastienne » (1768) ! Les déchirements de ce grand roi rentrant de guerre pour trouver l'un de ses fils traître et l'autre dans les bras de sa fiancée, lui inspirent des accents d'une profondeur, d'une variété et d'une vérité humaine absolument confondantes. Michael Spyres (Mithridate) dès son entrée « Se di lauri » rend justice à la noblesse du souverain par un chant ample, rond et élégiaque qui domine aisément les virtuosités d'écriture. Moins impérial dans les airs véhéments, il dresse un portrait vaillant et contrasté du roi mourant. Patricia Petibon (Aspasie) et Myrto Papatanasiu (Xipharès, le fils fidèle) surmontent une mise en scène peu flatteuse (mais quel enlacement de voix dans l'admirable duo de la fin de l'acte II  et quelle sublime aria de Xipharès avec cor obligé – instrument associé à la noblesse- au moment où justement il accède à l'élévation du cœur !). Dans le rôle d'Ismene, Sabine Devieilhe déploie une ligne pure, lumineuse aux pianissimi délicats en harmonie avec la discrétion éplorée du personnage. Les moyens du contre-ténor Christophe Dumaux (Pharnace) le mettent parfois en difficulté dans les vocalises acrobatiques mais la noirceur et le désespoir de ce fils déchiré s'affirment peu à peu et finissent par toucher. Cyrille Dubois (Marcius) et Jaël Azzarati (Arbate) dans les rôles annexes, ne déméritent pas. Chacun des héros confronté à ses trahisons, son orgueil, ses passions est transformé et pardonné. C'est toute l'émotion que transmet la musique de Mozart... et la belle interprétation du Concert de l'Astrée sous la direction rayonnante d' Emmanuelle Haïm remarquable dans sa rythmique à la fois souple et serrée, ses courbes mélodiques flexibles, son architecture solide. Alors, les voix s'envolent... éveillant en chacun et emportant avec elles quelque chose de secret et d'indicible.
On oubliera vite la mise en scène de Clément Hervieu-Léger qui souffre des même défauts que sa précédente « Didone » (Cavalli) : pénombre, misérabilisme et manque de grandeur. Pourtant, ils se sont mis à cinq -mise en scène-dramaturgie-scénographie- pour des jeux de scène qui consistent à s'habiller et se déshabiller (sans que la température ou les circonstances l'exigent) ou bien à s'accrocher convulsivement les uns aux autres. Costumes (plus de neuf responsables cités!) « intemporels » c'est à dire laids, mal seyants et dénués de sens : trench-coat, complet veston, manteau long flottant noir ou vert pomme, robes années soixante violette ou jaune poussin, à côté d'une pile de tissus qu'une vieille femme et une petite fille plient et déplient...
Heureusement, grâce aux interprètes de cette soirée, le cœur battant de Mozart vit toujours dans sa musique, à laquelle le public fait -comme il y a 250 ans- un éclatant triomphe.
Bénédicte Palaux Simonnet
Théâtre des Champs Elysées, le 14 février 2016

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