Mahler transcendé à l’Orchestre National de Lille

par

© Rikimaru Hotta

Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°9
Orchestre National de Lille, Eliahu Inbal, direction
Parfois, il suffit d’une baguette pour qu’un orchestre se transcende, se galvanise. Et quelle baguette lorsqu’il s’agit du chef Israélien, Eliahu Inbal, fin connaisseur des œuvres, entre autres, de Mahler et Bruckner ou encore Chostakovitch ! A l’occasion de trois soirées, dont deux à Liège et à Bruxelles, Eliahu Inbal était donc l’invité de l’Orchestre National de Lille avec, au programme, la redoutable Symphonie n°9 de Gustav Mahler. Un défi pour l’orchestre mais aussi pour le chef qui devait parvenir ici à trouver la direction la plus limpide dans une architecture complexe et large. De manière générale, on concèdera à Eliahu Inbal la volonté à choisir des tempi allants qu’il assume et maîtrise d’un bout à l’autre des mouvements et qui ne déstabilisent à aucun moment l’orchestre, affichant plutôt stabilité et homogénéité. La particularité de cette symphonie réside dans sa construction peu usitée encore à l’époque : deux mouvements lents qui encadrent deux autres plus rapides. Dès lors, les repères habituels et classiques peuvent être amenés à ébranler l’oreille de l’auditeur pour une symphonie écrite en seulement quelques semaines durant l’été 1909 dont le langage n’aura jamais été si complexe. Mais pour mieux comprendre et appréhender ce langage résolument personnel, faut-il rappeler les évènements tragiques et récents d’un homme touché par la maladie deux ans plus tôt ? Une éviction de l’Opéra de Vienne suite à des attaques antisémites et, plus grave encore, la disparition de Maria, la fille aînée du couple Mahler, qui disparaît à l’âge de quatre ans. Si le thème de la mort traverse toute l’œuvre de Mahler, comment caractériser les dernières mesures du quatrième mouvement qui lui-même débute par un magnifique tutti de cordes, chaud et chaleureux ? Il n’est plus question de la mort mais plutôt du repos, du silence. Et tout naturellement, l’ONL saisit de manière admirable toutes les caractéristiques de ce langage qu’il défend ce soir avec vigueur. Le premier mouvement débute de manière apaisée avant un tournant dramatique habilement conduit. Les climax sont à chaque fois atteints avec intelligence grâce à une construction de la ligne musicale aboutie. Un beau travail est porté sur les transitions et « ponts » entre plusieurs parties, dû certainement à un travail minutieux en amont. Le second mouvement est animé, doté d’une belle énergie commune, d’un dialogue efficace entre les pupitres et d’une très large échelle de dynamiques, notamment pour les vents, formidables ce soir. Le troisième mouvement ne manque pas de contrastes avec un chef qui pousse l’orchestre dans ses derniers retranchements, lui-même répondant avec éclat et précision. Si on aurait souhaité plus de place pour le tutti de cordes au début du dernier mouvement, notamment en raison de l’installation d’un tempo un peu rapide pour un adagio, l’ONL a rarement aussi bien sonné cette saison. Et de manière très naturelle, le chef conclut cette symphonie avec douceur et simplicité.
Si la baguette d’Eliahu Inbal est autoritaire et précise, elle n’oublie à aucun moment de laisser la parole et une certaine liberté aux instruments qui, le temps de quelques mesures, sont solistes. C’est dans cet effort que l’on reconnaît un grand chef : un homme ou une femme qui guide tout en écoutant attentivement ce qu’on lui propose. Et le résultat est là : énergie commune, balance parfaite, respect de la partition, dialogue permanent, le tout grâce à une architecture établie et conçue brillamment.
Ayrton Desimpelaere
Lille, le Nouveau-Siècle, le 10 juin 2016

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