Mam’zelle Nitouche poursuit sa carrière en pleine forme

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Le spectacle, présenté en octobre 2017 à Toulon et en décembre de la même année à Nantes, fait l’objet d’une importante tournée cette saison jusqu’en mai 2019, avant de s’installer à Paris en juin 2019 au Théâtre de Marigny dans le cadre du Festival Palazetto Bru Zane.

Scènes en miroir à la vie d’Hervé

Mam’zelle Nitouche, vaudeville-opérette en trois actes et quatre tableaux, est parsemé d’éléments autobiographiques. Le livret d’Henri Meilhac et Albert Millaud met en scène l’organiste d’un couvent qui devient, à la nuit tombée, un homme de théâtre présentant ses œuvres légères. Or, au début de sa carrière et pendant une dizaine d’années, Hervé, organiste de Bicêtre puis de Saint-Eustache le jour, occupait ses soirées à représenter ses spectacles tout en les mettant en scène et chantant lui-même. Mais il ne menait plus cette double-vie dès la seconde moitié des années 1860 où ses grandes opérettes furent créées (Les chevaliers de la Table ronde, L’Oeil crevé, Chilpéric, Le Petit Faust). A sa création en janvier 1883, Mam’zelle Nitouche était intitulée « comédie-vaudeville », accordant l’importance première à l’action théâtrale, l’œuvre étant spécialement conçue pour Anna Judic, vedette du Théâtre des Variétés.

Fidèle à ce caractère, la mise en scène de Pierre-André Weitz surveille la scène en jouant le rôle de régisseur dans un costume de clown, et met particulièrement en valeur la partie parlée avec des éléments de scène qui sont loin d’être homogènes, notamment des costumes souvent décalés. L’un des exemples les plus flagrants en serait ce grand rideau de scène reproduisant une parodie de La Liberté guidant le peuple de Delacroix, avec l’accroche « Opéra révolutionnaire de Hervé » en exergue, devant lequel un vrai coq chante trois fois tout au début du spectacle. L’opérette (et non un opéra comme l’indique ce rideau-publicité) est-elle aussi « révolutionnaire » que cela ? Le mot semble volontairement exagéré et le ton est donné. Des militaires dans leurs uniformes évoquant le tournant du 19e et du 20e siècles s’habillent en tutus lors des fêtes ; les robes et les coiffes de plumes des femmes suggèrent les folies des cabarets montmartrois à leur apogée. Les trois décors du couvent, de la rue de Paris et des coulisses du théâtre, placés sur une plaque tournante, rappellent que ces trois lieux sont les miroirs de l’un et de l’autre entre lesquels les personnages « naviguent », comme le faisait Hervé dans sa vie.

Musique au service des idées scéniques

Des couplets aimables et charmants, des duos ou des ensembles montrant le solide métier du compositeur ponctuent les dialogues, mais hélas ! on les compare toujours à ceux d’Offenbach, son éternel rival et ami. Pour ceux qui sont habitués aux partitions de ce dernier, le spectacle d’Hervé paraît parfois moins structuré, la musique moins accrocheuse. Mais cela devrait être regardé autrement ; l’intention d’Hervé semble portée d’abord sur les effets scéniques, où la musique constitue un élément parmi tant d’autres contribuant à créer tout un ensemble. Ses chansons à refrain exigent parfois une virtuosité vocale étincelante, mais ce n’est pas le but en soi. Ils sont traités en prolongement de dialogues, pour les rendre plus vivants, plus colorés, plus piquants. C’est pourquoi, lorsque les acteurs chantent des airs avec leurs moyens qui ne sont pas ceux de chanteurs lyriques, cela ne gêne pas pour autant (il faut juste un peu de temps pour s’y habituer…).

Les performances plaisantes des chanteurs-comédiens

Le couple Denise-Mam’zelle Nitouche / Célestin-Floridor domine toute l’œuvre ; si l’opérette s’appelle Mam’zelle Nitouche, Floridor est si présent dans cette production qu’on pourrait changer de titre pour Monsieur Floridor par exemple ! Damien Bigourdin incarne ce double personnage avec beaucoup de fougue, et sa voix extrêmement sonore dans le dialogue efface presque tout le monde, excepté le sulfureux Olivier Py qui joue deux personnages, La Mère supérieure du couvent des Hirondelles et Corinne, la prima donna du théâtre et maîtresse du major comte de Château-Gibus. Le rôle du comte est également confié à un comédien, Philippe Girard. Sa voix « sableuse » mais qui porte, offfre un contraste fascinant avec Denise et Célestin, d’autant qu’elle correspond au caractère de ce personnage qui soupçonne la liaison de Corinne avec Floridor.

Côté chanteur, la distribution est heureuse. L'inénarrable Lara Neumann, tout aussi excellente dans le dialogue que dans le chant lyrique, est de surcroît douée pour le chant de type variétés. Elle chante l’air Alleluia du premier acte comme dans un spectacle de cabaret. Son timbre et sa façon de projeter la voix changent complètement, elle est ainsi l’une des très rares chanteuses-comédiennes qui savent « naviguer » — c’est toujours ce mot qui s’applique à ce spectacle — entre différents genres de chant et elle est absolument parfaite dans cet exercice. Dans le rôle du vicomte Fernand de Champlâtreux (qui découvre tout à la fin que Mam’zelle Nitouche dont il est épris et sa promise Denise de Flavigny ne font qu’une seule personne), Samy Camps déploie une belle envolée en saisissant le peu de moments où il chante (d’ailleurs, les chansons sont presque toutes pour Denise), et il assume le personnage du vicomte naïf avec beaucoup de fantaisie. Dans la tenue d’une Madone coquine de cabaret parisien (avec voile, auréole et plumes), Clémentine Bourgoin partage l’air Invocation à Sainte Nitouche de l’acte III avec Denise. Les deux timbres féminins sont assez proches et harmonieux, et malgré les paroles légères et insouciantes, elle réalise un petit miracle musical et envoie à Denise une inspiration.

Sandrine Sutter (la Tourrière), Antoine Philippot (le directeur de théâtre), Ivanka Moisan (Gimblette), Pierre Lebon (officier Gustave), David Ghilardi (officier Robert) sont indispensables dans leurs « petits rôles » pour assaisonner le spectacle de poivre et de sel.

Christophe Grapperon dirige le chœur de l’Opéra National de Montpellier Occitanie (chef de chœur : Noëlle Gény) et l’Orchestre National de Montpellier Occitanie avec beaucoup d’esprit. Cependant, on sent que celui qui a longtemps été chef de chant n’est pas encore entièrement à l’aise avec un orchestre (du moins ce soir-là) ; des micro-décalages trop souvent audibles entre les chanteurs et l’orchestre, mais très vite corrigés à chaque fois, montrent quelques difficultés à régler les détails. Peut-être est-ce dû au manque de temps de répétition pour trois représentations seulement ? Sa direction sera certainement meilleure avec Les Frivolités Parisiennes (pour les représentations parisiennes en juin 2019), rompu dans ce genre de répertoire et qu’il connaît mieux.

Crédit photographique  © Marc Ginot

Victoria Okada

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