Manru, l'opéra de Paderewski

par

Ignacy Jan PADEREWSKI
1860-1941
Manru
Janusz RATAJCZAC Manru
Wioletta CHODOWICZ (Ulana), Barbara KRAHEL (Jadwiga), Leszec SKRLA (Urok), Monika LEDZION (Aza), Jacek GRESZTA (Oros), Lukasz GOLINSKI (Jagu), Choeur, Ballet et Orchestre de l'Opera Nova à BYGDOSZCZ, dir.: Maciej FIGAS
2011-dolby digital 2.0/5.1 -16:9 PAL- DVD 5- DDD-124 '- sous-titres en polonais, anglais, allemand-chanté en polonais- DUX 9793

On connaît l'extraordinaire destin d'Ignace Paderewski - né en novembre 1860 à Kurylowka et mort à New-York le 29 juin 1941- après avoir mené une carrière de pianiste virtuose ( à partir de 1887) et, son ardent patriotisme étant reconnu, il devint président du conseil et ministre des Affaires Etrangères de Pologne, président du Conseil national polonais à Paris où il vécut jusqu'à son départ pour les Etats-Unis en 1940. Ses compositions pour piano sont les mieux connues, mais ses deux concertos pour piano et pour violon méritent de l'être ainsi que son unique opéra Manru créé à Dresde et que la firme DUX a capté dans une émouvante réalisation de l'Opéra Nova de Bydgoszczy. Manru tiré d'une nouvelle de Jòzef Ignacy Kraszewski (1812-1887) « une chaumière hors du village» reprend l'histoire millénaire des amants séparés par les antagonismes familiaux, sociaux, voire religieux ( Romeo et Juliette, Katia Kabanova, Jenufa ou Khovantchina).S'y superpose le conflit intérieur qui déchire le héros entre la séduction de la sédentarité, l'engagement (incarné par la douce Ulana à qui il a donné un enfant, sa mère Jadwiga, le village, son métier de forgeron) et l'appel de la liberté vagabonde des gitans (forêts des Tatras, le lac, la danseuse Aza, le rival Oros et le violoniste Jagu ). Entre les deux, le nain sorcier Urok joue le rôle de l'aveugle destin offrant à l'une un philtre d'amour et à l'autre la révélation de son fatal destin. Le livret concilie curieusement les codes du grand opéra (on peut s'amuser à évoquer Meyerbeer,Wagner, Tchaïkovski ou Puccini) et un sauvage patriotisme sans qu'un langage vraiment singulier et homogène en ressorte mais qui produit une impression de vitalité finalement assez exotique. Si bien qu'on peut être à la fois déconcerté et ravi par une œuvre qui n'est pas sans valeur et nous prend devant ce «fatum» qui pèse sur Manru. Certes la partition n'a rien d'unique, ni de révolutionnaire mais telle quelle, elle évoque avec une vigoureuse poésie, une force et un engagement singulier cette douloureuse aventure où périssent les héros pris au piège de leur incapacité à reconnaître et aimer «l'Autre». La distribution - saines et belles voix- a le mérite d'aller droit au but et de rendre compte, sans finasser, d'un drame qui trouve des échos bien contemporains. La réalisation peut sembler assez «rustique» mais s'avère efficace: elle met bien en valeur le quintette - Janusz Ratajczac, ténor émouvant et toujours «présent» en Manru en dépit d'un costume bizarre; Wioletta Chodowicz, soprano de grande ampleur et sobre dans le rôle d' Ulana; Barbara Krahelin donne toute son autorité pesante et impitoyable à la figure maternelle Jadwiga; Monika Ledzion prête la séduction de son beau mezzo à la gitane Aza. Leszec Skrla, enfin parvient à donner une inquiétante présence à l'infirme-sorcier Urok. Grand mérite également pour le reste de la distribution- danseurs folkloriques, chœurs vivants et clairs. Enfin la mise en scène joue avec les teintes sombres, bruns et gris, à l'image même de l'oeuvre. Dans son dénuement, son indifférence aux modes, cette réalisation rejoint les drames des Anciens grecs. Et puis comment ne pas songer au destin tragique de la grande Patrie polonaise célébrée par Paderewski?
Bénédicte Palaux Simonnet
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