Mascagni et Leoncavallo magnifiés par Pappano et Michieletto

par

Pietro MASCAGNI
(1863-1945)
Cavalleria Rusticana
Ruggero LEONCAVALLO
(1857-1919)
Pagliacci
Royal Opera Chorus and Orchestra, Antonio Pappano, direction – Damiano Michieletto, mise en scène – Aleksandrs Antonenko (Turridu/Canio) – Elena Zilio (Mamma Lucia) – Eva-Maria Westbroek (Santuzza) – Dimitri Platanias (Alfio/Tonio) – Martina Belli (Lola) – Carmen Giannatasio (Nedda) – Benjamin Hulett (Beppe) – Dionysios Sourbis (Silvio) – Elliot Goldie, Nigel Cliffe (deux villageois).
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Le Vérisme en musique apparaît à la fin du 19ème siècle avec comme objectif de montrer une tranche de la vie quotidienne et ne plus avoir recours à des sujets mythologiques, héroïques… Cette volonté de peindre en musique la réalité de tous les jours, les émotions vécues par les uns et les autres, notamment issus des classes sociales populaires, se dresse à une époque marquée par la domination en Italie de Verdi, mais aussi par l’esthétique wagnérienne qui commence à traverser les frontières. Dans ce paysage, Mascagni, Leoncavallo et Puccini entre-autres font figures de proue avec des ouvrages qui tendent davantage vers la réalité et la condition humaine : Bohème, Madame Butterfly, Pagliacci, Cavalleria Rusticana pour ne citer qu’eux. Les deux ouvrages proposés ici sont le fruit d’un concours musical créé par l’un des trois principaux éditeurs musicaux de l’époque, Edoardo Sonzogno. Intéressé par le travail des jeunes compositeurs qu’il souhaitait soutenir et encourager, Sonzogno organisa quatre concours entre 1883 et 1902 dans l’optique d’inciter des jeunes concurrents italiens la composition d’opéras en un acte dont le sujet pouvait être « idyllique, sérieux ou joyeux, au choix du candidat ». Cavalleria Rusticana fut primé en 1888, œuvre « point de de départ » ou « catalyseur » pour Leoncavallo, qui n’en finissait plus avec les histoires juridiques, pour l’écriture de son Pagliacci. En décembre 2015, Antonio Pappano et Damiano Michieletto associèrent comme au 19ème siècle ces deux opéras d’environ 75 minutes chacun. Il en ressort une exécution des plus convaincante, tant par le choix des solistes que par la mise en scène ou l’immense chantier musical construit par le chef italien. Ce qui plait d’abord ici, c’est la volonté de Michielleto d’imbriquer les deux œuvres par des procédés astucieux et judicieux. Ainsi, il n’est pas surprenant de voir apparaître des affiches publicitaires pour un spectacle, en l’occurrence Pagliacci dans les premières minutes de Cavalleria ou encore diverses rencontres entre Silvio (ici employé de la boulangerie du village) et Nedda (faisant de la publicité pour le théâtre de son mari) et enfin Santuzza auprès d’un prêtre et Mamma Lucia à qui elle semble annoncer, dans Pagliacci et ce malgré la mort de Turridu, un futur heureux événement. Mais la plus grande astuce de Michielleto réside dans les décors de Paolo Fantin : deux bâtisses qui tournent au fur et à mesure de l’action permettant ainsi, sans interrompre ou bousculer l’action musicale, de suivre le train de vie de nombreux acteurs en direct (boulangerie, fête, pièce de théâtre, coulisses…). En plus d’être fonctionnels et judicieux, les décors, finalement assez épurés, sont criant de réalité et confèrent à l’ensemble un caractère plus humain. Aussi, il y a derrière ces choix quelque chose de touchant par la volonté d’associer et de réunir toutes les catégories de personnes (enfants, adultes, employés, patrons…) en différents tableaux. En ce sens, Michieletto, Fantin ainsi que les costumes contemporains de Carla Teti et les éclairages d’Alessandro Carletti rendent justice tant à la musique qu’au texte. N’est-ce finalement pas ce que l’on peut espérer d’un opéra ?
Antonio Pappano met quant à lui son talent et sa sensibilité au service de la ligne mélodique et du matériau orchestral. A la tête des chœurs et de l’orchestre du Royal Opera House, le chef italien se risque à adopter une esthétique qui lui est propre en allant au bout des choses et en conférant avec passion à l’orchestre un rôle plus important que le simple accompagnateur. Il crée ainsi une symbiose entre l’orchestre (son rond et homogène des cordes, justesse irréprochable des vents, écoute permanente), les solistes et les chœurs permettant de cerner au plus profond les esthétiques de Mascagni et Leoncavallo. Tout est construit avec intelligence et réflexion, toujours dans le souci de proposer et déployer une large palette de couleurs, dynamiques et contrastes. Ce très bel orchestre construit par Pappano accompagne avec attention les solistes. Tantôt agacé par les agissements de Santuzza, tantôt marqué par la douceur maternelle, les Turridu et Canio d’Aleksandr Antonenko se construisent avec puissance, tant vocale que scénique. Il répond avec fougue aux Alfio et Tonio de Dimitri Platanias, représentants d’une certaine aisance scénique et dotés d’une technique vocale robuste et large. En choisissant d’afficher dès le départ la mort de Turridu, Elena Zilio campe une Mamma Lucia meurtrie dont le timbre dramatiquement convaincant évolue avec justesse en fonction de l’action. La Lola désinvolte de Martina Belli prend quant à elle possession de la scène avec naturel et panache. Coup de cœur pour Eva-maria Westbroek (Santuzza) : timbre idéal, dynamiques nombreuses, personnage proche de l’auditeur, aisance scénique… Pagliacci bénéficie aussi d’une belle affiche, d’une part par l’incroyable Nedda de Carmen Giannattasio pour qui le rôle, grâce à une voix fraîche et bouleversante, semble avoir été taillé sur mesure, et d’autre part par les voix touchantes et jamais en retrait de Benjamin Hulett (Beppe) et Dionysios Sourbis (Silvio).
En définitive, un orchestre aussi bien préparé, des chœurs cohérents et homogènes, une mise en scène limpide, des décors, éclairages et costumes soignés permettent à cette production de 2015 (en co-production avec la Monnaie) de briller et de se hisser au rang de référence.
Ayrton Desimpelaere

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