Menahem Pressler, bouleversant à Liège

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Schubert : Sonate pour piano n° 18 en sol majeur D. 894
Kurtag : Impromptu all'ongherese
Schubert : Sonate pour piano n° 21 en si bémol majeur D. 960
C'est un voyage dans le temps que nous a offert Menahem Pressler durant plus d'une heure et demie dans cette belle salle du Philharmonique de Liège. Ceux qui y étaient se souviendront longtemps du moment musical qu'ils ont passé en compagnie du doyen des pianistes internationaux. Menahem Pressler a fêté ses 90 ans il y a un peu plus d'un mois et continue une carrière internationale à un rythme que certains jeunes pianistes pourraient lui envier. On connaît le pianiste dans le fameux et mythique ensemble "Beaux Artsr Trio" qu'il a fondé et fait durer plus de cinquante ans. Il est aussi un grand pianiste soliste. Le programme de cet après-midi était simple, beau et essentiel ; à l'image du musicien. Deux chefs-d'oeuvre de Schubert et une petite pièce de Kurtag écrite spécialement pour lui. Il entre à petits pas sur scène, s'installe confortablement sur son siège et plaque le premier accord de la Sonate en sol majeur de Schubert : nous comprenons aussitôt que nous avons en face de nous un artiste, un poète. Menahem Pressler captive avec un son extrêmement doux, subtil et enjôleur. La salle du Philharmonique est envahie d'un sentiment d'apaisement et de joie très intime. Pressler n'est pas là pour en mettre plein la vue ni plein les oreilles d'ailleurs ; il est d'une remarquable simplicité, dans son jeu comme dans son attitude. A cet âge, qui chercherait les lauriers ? L'immense carrière de cet homme est derrière lui mais chaque note est comme un dernier adieu à la musique qui lui a tant donné et à laquelle il a consacré toute sa vie. Un Schubert rare. Pressler a ce toucher délicat, chantant et ultra-sensible qui donne à la musique de Schubert toute sa valeur. On entend parfois la musique de Schubert mal comprise, trop sentimentale, trop épurée et de temps en temps trop "pianistique". Ce n'est pas un pianiste qu'on a entendu ici, c'est un sage-musicien. Un poète-prophète. La deuxième partie du concert était consacrée à l'immense dernière sonate de Schubert. Avant d'attaquer ce monument, Menahem Pressler à choisi une petite pièce du compositeur contemporain hongrois Gyorgy Kurtag. Oeuvre qui convient parfaitement à son jeu car sa palette de nuances piano-pianissimo est monumentale. Petite oeuvre élaborée autour de petites cellules mélodiques, petits silences soudains. Sans prendre le temps de “ couper le son ”, Menahem Pressler enchaîne aussitôt avec la Sonate n° 21 de Schubert comme si la pièce de Kurtag avait été une préparation d'ambiance pour le chef-d'oeuvre de Schubert. Plus impressionnant encore que dans la première sonate car dans les moments où Schubert semble vouloir dépasser le cadre du piano et pousser plus loin les nuances forte, Pressler met véritablement de sa personne. Cette sonate, chant du cygne du compositeur, semble devoir devenir le chant du cygne de pianiste. Bouleversant de voir ce Monsieur qui n'a strictement plus rien à prouver au monde musical auquel il a tant apporté et qui donne tout de lui-même pour l'amour de la musique et de Schubert alors que tant d’interprêtes déroulent leur carrière comme si rien n'était en jeu, que la musique n'était qu'un simple gagne-pain, un divertissement pour le public. Pressler vit chaque note et fait partie de ces pianistes qui ont cessé d'être pianiste. Le mouvement lent de la D. 960 restera longtemps gravé dans la mémoire, dans le cœur du public avec qui il a partagé ce jour de février à Liège, quand il a choisi de nous consoler de la vie avec Schubert. Pour finir, Pressler nous a offert un Nocturne de Chopin comme Chopin devait le jouer. Tendresse, finesse et poésie ont plané sur Liège durant un peu plus d'une heure trente. Un voyage dans le temps. Simple, généreux et sans concession.
François Mardirossian
Liège, Salle Philharmonique, le 1er février 2014

 

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