Michael Gielen, mahlérien universel

par
Mahler Gielen

Gustav MAHLER
(1860 - 1911)S
Symphonies n°1 à 10 - Lieder eines fahrenden Gesellen - Kindertotenlieder - Fünf Lieder nach Texten von Friedrich Rückert - Des Knaben Wunderhorn - Blumine
Solistes, choeurs, SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg, dir.: Michael Gielen. 1988-2014. DDD. 16h52. Livret en anglais et allemand. SWR Music. SWR 19042CD

Dans le cadre de l’édition que lui consacre le label SWR Music à l’occasion de ses 90 ans, le chef d’orchestre Michael Gielen se voit honoré par un plantureux coffret comprenant l’intégralité de ses enregistrements mahlériens. Le discophile émérite se souvient des commentaires élogieux qu’accompagnaient les sorties ponctuelles de cette somme en titres séparés quand les symphonies de Mahler étaient couplées à d’autres compositeurs classiques, modernistes ou avant-gardistes : Franz Schubert, Arnold Schoenberg, Charles Ives, Franz Schreker, Alban Berg ou Pierre Boulez. Cette somme mahlérienne fut ensuite mise en coffret (fort cher au demeurant) avant d’être complétée par la parution isolée des cycles vocaux. Dans le cadre de l’édition anniversaire SWR Music (dont c’est le volume n°6), on retrouve enfin les symphonies et les cycles vocaux dans un gros coffret vendu à prix très démocratique. A l’exception du Klagende Lied, on tient en plus un coffret parfait qui saura ravir tous les mélomanes du profane au mahlérien archiviste d’autant plus que Gielen dirige la symphonie n°10 dans la complétion de Deryck Cooke sans oublier le court mouvement Blumine, tiré de la version originale de la symphonie n°1. Il n’y a donc pas sur le marché d’équivalent quantitatif et qualitatif !
Au niveau interprétatif, Michael Gielen se situe au sommet de l’art mahlérien. Compositeur qui dirige (comme feu son ami et voisin de Baden-Baden Pierre Boulez), Gielen impose un Mahler plus nerveux que musclé, essentiellement focalisé sur le logique compositionnelle du discours, c’est-à-dire sans ajout de surmoi émotionnel (façon Bernstein), d’intentions ultra-analytiques (façon Simon Rattle) ou d’avalanches de décibels (façon Dudamel). Le geste interprétatif se fond dans un discours qui cherche à montrer la force moderniste du génie mahlérien. La gestion des tempi est exemplaire : Gielen est parfois plutôt rapide là ou d’autres s’alanguissent (Symphonie n°3) ou modéré quand certains de ses confrères accélèrent (Symphonies n°6 ou n°9). La motricité de la direction permet au chef de soigner des contrastes dosés avec une rare évidence car coulés dans une narration fluide plus objective que suggestive. Cette dimension analytique n’est jamais frigorifiante (façon Boulez) mais toujours impactante dans sa maîtrise intellectuelle et son avancée inexorable.
Alors que toute intégrale mahlérienne s’entend avec parfois des baisses de tensions, Gielen reste constant et sa somme ne connaît aucune faiblesse ou baisse de tension. Toutes les symphonies sont d’immenses réussites, portées par un orchestre phénoménal autant dans sa force collective que dans ses individualités. Du côté des chanteurs, le ton est plutôt à l’homogénéité dans un esprit troupe plus qu’à l’éclat individuel. Si l’on trouvera mieux de manière isolée chez les concurrents, les voix solistes et les forces chorales s’intègrent à la volonté du chef d’un Mahler global et homogène.
Le SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg, rompu à toutes les musiques contemporaines les plus redoutables est un écrin fabuleux. Techniquement les pupitres sont absolument irréprochables de justesse et d’intonation. Certes, les musiciens allemands n’ont pas la rondeur de Vienne ou la puissance démoniaque de Chicago, mais leur sûreté technique et leurs timbres tranchants n’ont pas d’équivalent pour se mettre au service de cette direction qui dégraisse le magma mahlérien comme rarement en lui rendant sa rage futuriste. La performance d’ensemble est d’autant plus vertigineuse qu’il s’agit de prestations de concerts...
En prime SWR Music offre un DVD avec une captation vidéo de la Symphonie n°9, superbe leçon de direction tant l’économie du geste du chef est au service d’une telle œuvre est à montrer dans toutes les classes de direction du monde. Ce n’est pas la plus phonogénique des captations et elle nécessite attention et concentration mais cette Symphonie n°9 est un modèle.
Ajoutons que les prises de son sont magistrales et que le livret de présentation est un modèle éditorial avec une biographie du chef, ses propos sur les œuvres de Mahler, des biographies des chanteurs et les textes chantés.
Bien évidemment, la discographie des symphonies de Mahler se caractérise pas des piliers comme les intégrales de Leonard Bernstein (Sony mais surtout DG) ou les témoignages de disciples du compositeur Bruno Walter ou Otto Klemperer, mais la force et la logique de la vision de Michael Gielen font de ce coffret une autre base indispensable.
Pierre-Jean Tribot

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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