Mirga Grazinyte - Tyla : elle a tout d’une grande

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Exactement un an après sa réouverture, la salle Reine Elisabeth d’Anvers recevait le City of Birmingham Symphony Orchestra. On se souviendra que Simon Rattle -qui fut son directeur musical de 1990 à 1998- avait réussi à faire de cet honorable orchestre de province un des meilleurs ensembles britanniques, même si depuis lors l’orchestre avait nettement moins fait parler de lui, jusqu’à ce qu’il confie la saison dernière sa direction à la jeune cheffe lituanienne Mirga Grazinyte-Tyla qui se produisait pour la première fois dans notre pays dans la magnifique salle anversoise dont la rénovation est un régal pour l’oeil.

Fine et blonde, Mirga Grazinyte-Tyle (on comprend pourquoi la presse britannique préfère souvent s’en tenir à son seul prénom) est une vraie cheffe à la gestuelle souple et claire, et la voir à l’oeuvre est un véritable plaisir. Comme elle le montra si bien dans la Scène au bord du ruisseau de la Symphonie Pastorale de Beethoven, elle sait prendre son temps pour raconter une histoire, idéalement aidée par des bois merveilleusement lyriques, tout aussi à leur affaire dans la Joyeuse assemblée de paysans qui suivit. L’Orage fut impressionnant sans être apocalyptique, et le dernier mouvement -où l’on avait l’impression d’entendre des bergers détrempés mais reconnaissants- fut d’une touchante sincérité et d’une simplicité sans artifice, comme dans le beau chant des violoncelles.
La totale implication de Grazinyte-Tyla, sa façon physique d’aborder la musique, sa générosité, sa façon de ne jamais diriger à l’économie, son intelligence et sa sincérité totale rappellent irrésistiblement le Bernstein jeune des années 1950 et 1960 (bonds sur le podium compris). Si l’on sortit très satisfait de l’écoute de la Pastorale, La Mer se révéla exceptionnelle. Dès l’entame de l’oeuvre (De l’aube à midi sur la mer), menée de main de maître, la magie opéra dans un pointillisme sonore à la Seurat. La cheffe donnait parfaitement à entendre les dosages de timbres miraculeux voulus par Debussy, et faisait que chaque phrase se trouvait gorgée de vie. Rarement on aura perçu à ce point l’évocation de l’impitoyable brûlure du soleil de midi qui clôt le mouvement. Dans Jeux de vagues, la musique se montrait sans cesse fluide et changeante, et Mirga se révéla une interprète d’une sensibilité frémissante. Elle aborda le Dialogue du vent et de la mer avec naturel et spontanéité, combinant sans effort apparent le sérieux de l’analyse à la spontanéité du moment, et obtenant de merveilleux alliages de timbres d’un orchestre totalement impliqué et visiblement ravi.
C’est Rafal Blechacz qui était le soliste du Deuxième concerto de Chopin. Comme à son habitude, le pianiste polonais -fort bien soutenu par la cheffe qui livrait de l’excellent travail à la tête de l’orchestre- aborda Chopin sans mièvrerie aucune et avec une saine franchise. Cela donna un premier mouvement indubitablement correct et bien élevé, mais curieusement impersonnel. Les choses s’améliorèrent nettement dans le divin Larghetto, abordé dès le début avec poésie et une façon de déclamer la ligne de chant avec beaucoup de finesse, même si l’on regrettera des forte assez secs. Le soliste fut très à son affaire dans l’Allegro vivace final, négociant les cascades de notes avec aisance, traitant les épisodes de danse avec énergie et sans brutalité, et terminant par une coda insouciante et joyeuse.
Enfin, si l’acoustique de la salle a été fort louée lors de la réouverture, ma première impression est plus mitigée: le piano sonna très bien, mais la sonorité de l’orchestre sembla assez mate. Pour se faire une meilleure idée, autant revenir au plus vite dans cette belle et accueillante salle!
Patrice Lieberman
Antwerpen, Koningin Elisabethzaal, le 23 novembre 2017

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