Des moustaches à la… Norma !

par

© Carole Parodi

Dans un angle d’une église délabrée, les femmes sont à l’ouvroir ; leur responsable tente vainement de brancher un poste de TSF, alors que le chef américain John Fiore dirige magnifiquement l’Orchestre de la Suisse Romande dans une ouverture dont il tire au cordeau les lignes de force en jouant des effets de clair-obscur au niveau du phrasé.

Entre un groupe de carbonari féroces manifestant bruyamment sa désapprobation des propos du commandant à coup de cartables sur une Sainte table. Mais trois des membres de la fanfare municipale sonnent du clairon pour annoncer une cérémonie ; reviennent les béguines avec quelques hommes, voiles blancs sur la tête, tabliers de bouchers à peine échappés de La Traversée de Paris (sans Bourvil ni de Funès). Paraît l’officiante qui revêt soutane et chasuble ; alors que le livret affiché sur le fronton évoque la forêt d’Irminsul et le culte druidique vers 50 avant J.C., mon sang de catholique fribourgeois pratiquant ne fait qu’un tour : serions-nous en train d’assister à la messe du Dimanche des Rameaux où l’on coupe des branchages à remettre aux fidèles ? Mais la prêtresse a fauté avec un étranger ; hâtons-nous donc de sortir d’un tiroir un nounours pour consoler les deux produits de cette copulation, faisons tomber un lit encastré dans une armoire murale et jetons dans une valise uniformes et pantalons de ce traître qui valse avec sa nouvelle conquête, tandis que la délaissée martèle le fulminant « Oh ! Di qual sei tu vittima crudo e funesto inganno ». Il faut se débarrasser coûte que coûte des deux enfants, un pistolet fera l’affaire ; mais l’on change d’idée : la valseuse qui a revêtu un gilet rouge d’Appenzelloise les emmènera en voyage. La clique au grand complet reparaît pour sonner l’appel aux armes en faisant péter les plombs. La brebis galeuse est découverte, sa complice se dénonce, les assistants s’en désolidarisent en quittant la salle, style remake de la Symphonie des adieux. Et l’auteur du forfait ne peut que retourner le revolver contre lui-même.
Vous ai-je dit que je vous parle de Norma, le chef-d’œuvre de Vincenzo Bellini selon la relecture de Jossi Wieler et Sergio Morabito conçue pour l’Opéra de Stuttgart et reprise ici par Magdalena Fuchsberger ? Dans leur tableau de chasse, ces deux messieurs se targuent d’une Rusalka de Dvorak se déroulant dans un bordel de luxe que le Grand-Théâtre avait proposée en juin 2013. Ici dans des décors et costumes d’Anna Viebrock sacrifiant à la laideur la plus prosaïque, manque cruellement une direction d’acteur, laissant à chacun des protagonistes le soin de s’inventer une gestique, même si la nervosité vous fait mettre de travers votre rouge à lèvres ou vous fait battre la mesure.
Venons-en à la distribution vocale. L’on avait grandement admiré Alexandra Deshorties lorsque, en avril 2015, elle avait incarné une fulgurante Medea en remplaçant au pied levé une Jennifer Larmore défaillante. Mais sa première Norma lui coûte beaucoup en taxant lourdement ses moyens. Sa ‘coloratura drammatica’ se veut précise mais est savonnée la plupart du temps, la quarte aiguë est continuellement hurlée sous l’effet de l’anxiété, les scènes en duo avec Adalgisa produisent fausses notes à foison ; mais la présence théâtrale est indéniable, car l’artiste s’investit totalement dans son personnage, notamment dans un finale qu’elle sait rendre déchirant. Et c’est dans le medium de tessiture de « Oh rimembranza » et de « Teneri figli » que se révèle la musicienne. Mais il faut bien admettre que Norma n’est pas pour elle, tout au moins pour le moment. L’Adalgisa de Ruxandra Donose est sans relief, uniforme au niveau d’une émission qui connaît les mêmes crispations que celle de la protagoniste. Fruste au dernier degré, le Pollione vociférant de Rubens Pelizzari, chantant faux à perte de vue sans la moindre vergogne, ce qui déteint sur son acolyte spastique, le Flavio de Migran Agadzhanyan. L’Oroveso de Marco Spotti sonne creux dans le grave, précaire dans son intonation. Un pincement au cœur : Sona Ghazarian avait été une éblouissante Amina dans une Sonnambula présentée avec la troupe de l’Opéra de Graz lors du Festival de Lausanne de juin 1976 : comment croire qu’aujourd’hui elle n’a plus que le grelot d’une ‘barbie’ ventriloque à prêter à une Clotilde qu’une certaine… Joan Sutherland encore méconnue campait à Covent Garden en novembre 1952. Pour conclure, une constatation : à quel point se décomposent nos génies de la mise en scène, lorsque les conspue une large part du public à leur apparition sur le plateau !
Paul-André Demierre
Genève, Opéra des Nations, le 16 juin 2017

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