Quand la musique de chambre tient salon en Provence  

par
Salon de Provence

Certainement le plus discret de tous les grands festivals, le Festival international de musique de chambre de Provence se tient pour la vingt-cinquième fois déjà à Salon-de-Provence. Né de l’imagination du pianiste et enfant du pays Eric Le Sage, du clarinettiste Paul Meyer et du flûtiste superstar Emmanuel Pahud, cet événement unique en son genre ambitionne rien moins que de réunir chaque année pendant un peu plus d’une semaine dans la petite cité provençale les meilleurs solistes au monde (comme le dit avec beaucoup d’aplomb la brochure du festival).  

Si l’on peut débattre quant à savoir s’ils sont bien les meilleurs au monde (et pour autant qu’une telle affirmation ait vraiment un sens dans un domaine où les classements sont aussi vains que subjectifs), force est de reconnaître qu’aucun des musiciens se produisant à Salon ne déparerait les plus prestigieuses salles de concerts de la planète. Mais le festival salonais offre encore d’autres atouts, à commencer par le merveilleux cadre et l’excellente acoustique de la cour de l’impressionnant et médiéval Château de l’Empéri (situé en pleine ville) où se déroulent les concerts du soir. En plus, par sa pratique voulue de prix modiques, le festival contribue à réunir un public idéalement varié où l’on retrouve tant les mélomanes locaux que des vacanciers attirés par la qualité des concerts ou que des amateurs de musique expressément venus du Japon ou de Macao. Et quel plaisir de voir se presser pour une soirée d’ouverture qui faisait salle comble (environ 500 personnes) des auditeurs de tous âges -dont beaucoup de familles avec de jeunes enfants ou des ados- dans une ambiance de totale détente et sans contraintes vestimentaires (les shorts et les tongs ne manquaient pas, mais la chaleur excuse bien des choses) et résolument sans chichis.
Il y a encore un élément dont il faut tenir compte à Salon, c’est le vent. De là, le recours aux pupitres lestés ainsi qu’aux indispensables pinces à linges qui permettent d’éviter de voir s’envoler les partitions. La présence en nombre du public s’expliquait certainement aussi par un programme entièrement consacré à Mozart. Dans le Trio pour clarinette, alto et piano K.498, Le Sage et Meyer –irréprochables, comme toujours- furent rejoints par la jeune altiste française Marie Chilemme, une vraie révélation : beauté de la sonorité, sûreté de la technique (quel bel usage du vibrato!), joie visible de jouer. Lui succéda un autre remarquable artiste de la jeune génération, le subtil pianiste américain Henry Kramer, brillant deuxième lauréat du Concours Reine Elisabeth 2016, qui fit preuve d’une belle musicalité dans la Sonate K.311 de Mozart, où il fit entendre –surtout dans le mouvement lent, chanté de belle façon- cette fine musicalité qu’on lui connaît.
Le Sage (excellent) reprit place au piano pour le Deuxième quatuor à clavier K.493 où les cordes se montrèrent assez hétérogènes : le violoniste Daishin Kashimoto franchement romantique, le violoncelliste Zvi Plesser d’un subtil classicisme et Marie Chilemme à nouveau parfaite. Le concert ayant commencé vers 21h20, l’entracte intervint à 22h45, moment où votre correspondant, épuisé, décida de rentrer à l’hôtel, ce qui lui valut de rater le Premier quatuor pour flûte et trio à cordes, le divin Quintette pour clarinette et le rarissime Fragment pour clarinette, basson et trio à cordes qui remplaçait le Quintette pour piano et vents initialement prévu. Honnêtement, on a parfois tendance à faire un peu trop long à Salon.
Le concert du deuxième soir fut, regrettablement, suivi par un public bien moins nombreux (une bonne centaine de personnes à peine) alors qu’il offrait un programme des plus intéressants mais incapable de concurrencer en popularité une soirée "Tout Mozart". Ce n’est pourtant pas tous les jours que l’on peut entendre le délicieux Sextuor pour piano et vents H.174 composé en 1929 à Paris par Bohuslav Martinu, splendidement interprété par Le Sage, Pahud et Meyer, rejoints par le hautboïste François Meyer, les bassonistes Gilbert Audin et Marie Boichard, qui en rendirent parfaitement l’ambiance insouciante et gaie, et le côté vrai chic parisien. S’ensuivit la création européenne du fascinant Bornéo pour marimba (excellente Ria Ideta) et basson (Gilbert Audin, parfait) du compositeur français Alexandre Ouzounoff, chaleureusement applaudi. La remarquable percussionniste japonaise se produisit ensuite dans la brève Cavatina de Stanley Meyers, charmant morceau écrit à l’origine pour piano et qui eut son heure de gloire dans son adaptation pour guitare réalisée pour John Williams et qu’on entendit dans le film The Deer Hunter de Michael Cimino (1978). La première partie s’acheva par une très belle version de l’austère et automnal Trio op. 114 pour clarinette, violoncelle et piano de Brahms où se joignit à Henry Kramer et Paul Meyer le violoncelliste allemand Claudio Bohorquez, nettement plus à son affaire que dans les Première et Troisième Suites pour violoncelle de Bach qu’il avait interprétées plus tôt dans la journée dans la traîtresse et excessivement réverbérante acoustique de l’Abbaye de Sainte-Croix. La soirée se termina par une délicieuse surprise, le célébrissime Quintette op. 81 pour piano et cordes de Dvorak dans un arrangement (dont l’auteur n’était pas mentionné dans le programme) où le quatuor à cordes prévu par le compositeur se voyait remplacé par un quintette à vent. Henry Kramer (une fois encore parfait) fut rejoint par Emmanuel Pahud, François et Paul Meyer, Gilbert Audin et l’excellent corniste Benoît de Barsony, autre habitué du festival (et qui, se produisant en chaussettes, semblait beaucoup souffrir des pieds). Cet arrangement très convaincant donna à cette si belle œuvre un caractère encore plus tchèque et populaire, comme si une harmonie de village de luxe eût pris possession de la belle cour du château de l’Empéri.
Le festival se poursuit jusqu’au 8 août et on ne peut qu’en conseiller la fréquentation.
Patrice Lieberman,
Salon-de Provence, les 31 juillet et 1er août 2017

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