Naufrage dans la 5ème de Bruckner: pas de survivants!

par

Anton BRUCKNER (1824 - 1896)
Symphonie n° 5
Philharmonie Festiva, dir.: Gerd SCHALLER
2014-DDD-72'52-Textes de présentation en anglais et allemand-Profil Günter Hänssler PH 14020
Connaissez-vous la Philharmonie Festiva? La notice du disque nous informe: il s'agit d'un orchestre créé en 2008 par son chef actuel, Gerhard Schaller, dans l'intention, nous dit-elle, de nous révéler l'interprétation définitive de tout le répertoire symphonique classique, romantique et moderne, pas moins! Bigre! Et quel bonheur: nous allons pouvoir jeter aux orties tous nos Furtwängler, Toscanini, Karajan, Ancerl, Klemperer, Walter, Bernstein et autres qui encombraient si inutilement nos rayons et nous enchaînaient à des décennies de tradition passéiste puisqu'ils vont devenir par conséquent obsolètes, oblitérés, déclassés! Emplis d'une infinie reconnaissance, nous nous précipitons vers notre galette libératrice comme à un sermon de Jésus-Christ revenu d'entre les morts. La 5ème symphonie de Bruckner est un de ces monuments qui ont intimidé les plus valeureuses et talentueuses de nos idoles disparues, et avec raison. Ces quatre immenses mouvements, dont un dernier que « Furt » lui-même qualifiait de page la plus monumentale de toute la littérature musicale classique, ont en effet de quoi décourager les plus hardis par leur complexité et leur gigantisme métaphysique inégalé. Mais notre nouveau Moïse est là, qui va sans nul doute une nouvelle fois, avec l'aide de Dieu, écarter les flots menaçants de la concurrence pour laisser passer le peuple élu. Las! Cette fois, le sort ne dure guère et, dès la première seconde, l'élément liquide se referme, non plus sur les Egyptiens honnis, mais sur les malheureux musiciens de cet ensemble, vaillants mais guère à la hauteur, menés par un leader qui n'a rien vu venir, qui s'est contenté de marcher mesure après mesure, sans se douter des dangers de la redoutable partition. Quelques accords et c'est le désastre, perdus que nous sommes au milieu du tsunami, pardon, des méandres labyrinthiques de cette musique d'où l'on ne ressortira pas. Quelque cuivre lancera bien ici sa voix esseulée et désespérée; une flûte, qui surnage un instant, poussera un râle plaintif, mais le reste se noiera dans un océan d'écumes. On espère, en enchaînant prière sur prière, qu'un hypothétique radeau (de la méduse?) va apparaître à l'horizon pour au moins sauver l'honneur mais l'attente demeurera vaine. Nous allons devoir nous répéter: retour aux cases départ signées « Furt », « Knap », Jochum, Wand etc., etc. Et une fois de plus se pose cette question lancinante: était-il bien utile de produire cette chose qui n'a que si peu de rapport avec le sujet qu'elle prétend traiter? Tout cela alors que le disque traverse la pire crise de son existence. Il y a vraiment de quoi y perdre son latin... ou son hébreu, je ne sais plus...
Bernard Postiau

Son 8 - Livret 7 - Répertoire 10 - Interprétation 3

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