Nicolas Altstaedt: «La musique de chambre est le centre de toute la musique»

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Nicolas Altstaedt a reçu cette année un International Classical Music Award (ICMA) dans la catégorie "Musique de chambre". Il a aussi repris la direction artistique du Festival de Lockenhaus fondé par Gidon Kremer. A la veille des festivals d'été, revenons à l'interview qu'il a accordée à Remy Franck et Luis Sunen à Milan en mars dernier, lors de la cérémonie de remise des Awards. 

- Vous avez été l'un des derniers élèves du grand violoncelliste Boris Pergamenchikov. Quelle importance garde encore pour vous son enseignement ?
L'enseignement de Pergamenchikov va bien au-delà de l'apport purement instrumental. C'est un professeur universel. Il enseignait chez lui où il avait une immense bibliothèque. Il jouait du piano -il était un excellent pianiste- et ses leçons ont toujours touché toutes les expressions de l'art, pour former non pas des "élèves" mais des "individus", des "personnalités".

- Lier ainsi les différentes formes d'art, c'est important pour vous aussi ?
Toutes les formes d'art sont fondées sur la nécessité pour l'artiste de s'exprimer. Tout se tient. Il n'est pas logique de jouer une oeuvre sans savoir à quel moment elle a été composée, quels mouvements artistiques avaient cours à cette époque, etc... Nous devons recueillir un maximum d'informations parce que, la plupart du temps, nous ne sommes plus en mesure d'échanger avec le compositeur.

Altstaedt- Quelle importance accordez-vous aux concours dans la carrière d'un jeune musicien?
Les concours sont devenus moins importants car il y en a trop. Moi-même, je n'ai jamais participé à de réels grands concours. Je suis convaincu que, fondamentalement, les concours n'ont rien à voir avec la musique. La musique est quelque chose que vous ne pouvez pas juger, et les critères qui interviennent dans les compétitions ont très peu à voir avec la nature de la musique. L'important, c'est de respecter le rythme, d'avoir l'intonation juste, toutes choses qui sont importantes, mais qui, seules, sont de nature à tuer la musique. J'ai gagné le "Credit Suisse Young Artist Award" qui m'a aidé en me permettant de jouer en concert avec l'Orchestre Philharmonique de Vienne. Dans ce concours, le jury n'évalue pas seulement le jeu instrumental mais sélectionne les gagnants après de longues discussions où il est question de la personnalité du musicien.

- Vous dites que l'on ne peut pas juger la musique. Vous parlez à deux critiques... Nous jugeons toujours quand nous écoutons la musique...
Vous travaillez sur d'autres valeurs que les concours. Ce que vous recherchez est autre chose que la stabilité rythmique et une belle propreté... Dans les concours, c'est souvent le musicien le plus ennuyeux, celui qui adhère strictement aux règles et joue sans imagination qui remporte la palme. Lorsque vous écrivez une critique, vous identifiez ce qui, dans une interprétation, diffère d'une autre, les nouvelles lumières apportées par l'interprète, dans le respect de la musique et du compositeur. Ces considérations-là  ne sont pas prises en compte dans les concours.

- Comme élaborez-vous votre répertoire ?
Ce n'est pas facile. Si je reçois une proposition de  concert pour dans deux ans,  avec une oeuvre que je ne voulais aborder que beaucoup plus tard..., la tentation d'accepter l'offre est grande... C'est souvent ainsi que cela se passe... Répondre à ses propres désirs ou aux tentations...? Il faut être capable de décider de ce qui est bon à tel moment et ce qui ne l'est pas. Parfois, dire "non" prend tout son sens; parfois il est faut réfléchir plus loin, se demander si on n'a pas tout simplement peur d'attaquer l'oeuvre proposée... Je suis convaincu aussi que beaucoup de choses ne peuvent vraiment aboutir que par la pratique de la scène. Je suis souvent amené à prendre des risques,  à jouer tout de suite une oeuvre que j'avais prévue pour plus tard. Et la plupart du temps, ça marche! Pas toujours... Ainsi, j'ai toujours reporté les sonates de Beethoven. Mais maintenant, je suis impatient de les jouer au Festival d'Echternach.

- Quel est votre approche de la musique de chambre ?
Elle est le coeur, le centre de toute la musique. Elle est partout où il y a interaction. Que ce soit une oeuvre soliste ou un concert avec orchestre, la musique de chambre est là. Je l'aime, et j'aime jouer des concerts sans chef d'orchestre. Parce que je suis convaincu que, même à l'orchestre, il vaut mieux ne pas se concentrer sur un bras mais être à l'écoute de ce que font les autres. Et cela vaut pour une très grande partie du répertoire.

Nicolas Altstaedt Cellist photo: Marco Borggreve all rights reserved- Etes-vous tenté par la direction ?
Non, je ne suis pas tenté de diriger. Je suis convaincu que je serais un mauvais chef. Par contre, donner un concert sans chef d'orchestre et prendre un rôle de leadership, cela me procure beaucoup de plaisir. Et cela fonctionne bien avec des grands groupes; je pense à l'ensemble italien «Spira Mirabilis» qui a travaillé la Grande Symphonie en ut majeur de Schubert ou les symphonies de Schumann sans chef d'orchestre. Ils travaillent de façon très démocratique, et tous les musiciens contribuent à aboutir ensemble au meilleur résultat possible. L'année dernière, j'ai joué à Melbourne avec un "Academy Orchestra" un concert Honegger. J'ai donné des indications au début et puis tout a démarré. Un grand concert. Mais ce n'est pas toujours possible et il y a bien sûr beaucoup de grands chefs qui ont apporté énormément à l'interprétation.

- Vous avez reçu le prix ICMA 2013 dans la catégorie "Musique de chambre" pour un enregistrement live de «Quatuor pour la Fin des Temps» d'Olivier Messiaen... 
Il s'agissait d'un enregistrement pour la radio. Les micros ont été mis en place pour la répétition de l'après-midi. Nous avons répété et ce n'était pas mal, il y avait beaucoup de bons passages et si le concert se passait mal, on savait qu'on avait les prises de la répétition.  Mais après la répétition, il n'y avait plus personne dans la salle de contrôle pour nous dire si l'enregistrement du concert était le seul prévu. Après le concert, on nous a demandé si on pouvait prendre la répétition pour le CD. D'abord surpris, nous avons écouté et nous avons été très satisfaits. Et nous avons donné le feu vert pour le CD. Une bonne décision comme le prouve cet Award.

- On vous sait très attentif à la musique contemporaine. Comment sélectionnez-vous les oeuvres que vous jouez ?
Le violoncelliste du Quatuor Ebene, Raphaël Merlin, est un bon ami. Il est aussi un excellent pianiste, un bon chef d'orchestre, un arrangeur brillant et un talentueux improvisateur; un musicien universel en quelque sorte. Il est occupé à écrire pour moi un concerto pour violoncelle. Nous le créerons en 2014 à Lockenhaus et le jouerons ensuite en tournée avec la Kremerata. J'aime que de très bons amis écrivent pour moi des pièces que je travaille dans une collaboration particulièrement fructueuse.

Altstaedt-und-gidon-kremer2.5021093- En 2012, vous avez pris la direction artistique du Festival de Lockenhaus de Gidon Kremer. Qu'est-ce que cela signifie pour vous?
Les sept dernières années, j'ai toujours joué à Lockenhaus et, pour moi, cela a été un grand honneur que Gidon Kremer me propose de lui succéder à la direction artistique. La réalisation d'un rêve ! Je vais rester dans sa philosophie. Lockenhaus est une petite mais belle fête où tout est réellement possible, ce qui n'est pas le cas dans les saisons de concerts internationaux soumis à diverses contraintes. Bien sûr, j'ai un projet et je pense à ce qui pourrait être une priorité dans le programme pour telle ou telle année, mais je reçois aussi beaucoup de suggestions de collègues-amis. C'est ainsi que s'élabore le programme, le plus souvent pour des ensembles que l'on n'entend pas ailleurs. Une partie reste aussi entre nous, lors des répétitions. Si nous doutons d'une réalisation, on la remplace. Il y a peu de programmes fixes annoncés à l'avance; le plus souvent, le programme est écrit à la main sur un panneau d'affichage, la veille du concert. Oui, j'aime travailler à Lockenhaus avec des musiciens flexibles et des aventuriers heureux.

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