Nouvelle et heureuse facture des Carmina Burana

par

Carl Orff (1895 - 1982) : Carmina Burana
Yeree Suh (soprano), Yves Saelens (ténor), Thomas Bauer (baryton)
Anima Eterna Brugge, Collegium Vocale Gent
Schola Cantorum Cantate Domino, Jos van Immerseel
2014-DDD-63’40-Textes de présentation en français, néerlandais, anglais, allemand-Zig-Zag Territoires ZZT353

Musicien de grand talent, Jos van Immerseel peut être passablement agaçant dans la façon qu’il a de ne laisser passer aucune occasion d’affirmer que son approche d’une œuvre, quelle qu’elle soit, est forcément la seule bonne puisqu’il met systématiquement un point d’honneur à n’avoir recours qu’à des instruments d’époque (ou des copies fidèles), y compris dans une œuvre relativement récente comme ces Carmina Burana de 1937 pour lesquelles il existe une continuité dans l’interprétation depuis maintenant trois-quarts de siècle, et bon nombre de versions ayant reçu l’imprimatur du compositeur, dont l’historique version Jochum à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Berlin (DG) dont la suprématie n’a jamais été vraiment contestée depuis 1968.
Mais ce qui compte bien sûr, c’est n’est pas tant ce qu’affirme le maître d’œuvre de ce nouvel enregistrement du tube d’Orff (même si la vogue semble en être un peu passée) que ce que l’audition de l’enregistrement nous révèle. Et c’est bien de révélation qu’on peut parler ici, moins en raison du choix des instruments retenus (même si la prestation d’Anima Eterna est, comme d’habitude de toute première qualité, les vents et les percussions se couvrant de gloire) que de l’approche chambriste qui, dans un premier temps, désarçonne un peu l’auditeur accoutumé aux grosses machines philharmoniques déchaînées qui s’attaquent le plus souvent à l’œuvre, et font que le O Fortuna qui introduit et clôture le cycle d’Orff est asséné avec bruit et fureur et produit l’effet musical d’un coup de poing au plexus solaire, laissant l’auditeur innocent un peu hébété. Rien de tout cela aussi, puisque non seulement Van Immerseel opte pour un ensemble orchestral de taille relativement réduite (60 exécutants), mais, et c’est là le véritable coup de génie de cette version, pour un chœur de chambre virtuose de 36 chanteurs –l’excellent Collegium Vocale Gent de Philippe Herreweghe, auquel s’ajoutent selon les besoins les petits chanteurs de la Schola Cantorum Cantate Domino d’Alost- plutôt que pour les imposantes masses chorales auxquelles on a d’ordinaire recours dans cette oeuvre. Cette approche véritablement dégraissée d’une musique si populaire voire rabâchée surprend positivement : soumise à cette salutaire cure d’amaigrissement, la musique d’Orff perd peut-être dans un premier temps de son impact dans les grandes pages chorales, mais gagne énormément en finesse, transparence et élan rythmique, de sorte qu’on peut sans effort goûter au mélange d’une écriture chorale volontairement simple (même si la tessiture en est parfois périlleuse) à la rythmique carrée et volontaire avec de fines trouvailles d’orchestration qui montrent nettement l’influence du Stravinsky des Noces. Pour les exigeantes parties solistes, Jos van Immerseel a eu la main particulièrement heureuse en arrêtant son choix sur la soprano Yeree Suh dont l’exquise voix de velours, le legato parfait et la superbe technique font de Stetit puella, In trutina et Dulcissime des moments enchanteurs. Quant au ténor Yves Saelens, il livre sans doute le Olim lacus colueram le mieux chanté de la discographie en dépit de la tessiture aigüe redoutable de l’air où, contrairement à nombre de ses prédécesseurs, il ne se laisse jamais aller à de ridicules contorsions et grimaces vocales. On sera plus circonspect à l’égard du baryton Thomas Bauer, capable de fort bonnes choses comme dans Omnia sol temperat et, surtout, Dies, nox et omnia, mais qui dans le Ego sum abbas et le Circa mea pectora use d’une diction mordante certes, mais qui vire vers le Sprechgesang ricanant en négligeant totalement la ligne de chant. Quoi qu’il en soit, cet enregistrement suprendra agréablement ceux qui croient connaître l’œuvre et mérite que ceux qui la regardent de haut s’y intéressent.
Patrice Lieberman

Son 10 – Livret 10 - Répertoire 8 - Interprétation 9

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