Ovation pour le Hercules de Haendel

par

Harry Bicket

Dans un théâtre des Champs Elysées archi-comble, The English Choir and Concert ont offert au public parisien une représentation admirable en tous points du puissant Oratorio Hercules de Haendel (que le programme s'obstine à écrire «Hercule »...). Oui admirable, et à la dimension même de l’œuvre, trop peu jouée mais qui mérite infiniment mieux que ce demi-sommeil. Car c'est une des plus formidables partitions que nous ait laissé le musicien, après sa grave maladie de 1737.

Depuis l'échec de son opéra Deidamia (début de 1741), Haendel a décidé de se tourner vers l'oratorio. Moins pour des raisons financières comme on le répète sottement (l'oratorio ne réclamant ni décors, ni solistes vedettes) que tout simplement pour des raisons de morale : désormais ses ouvrages traiteront soit des sept péchés capitaux, soit de vertus théologales pour « rendre les gens meilleurs » comme il aurait répondu à un auditeur du Messie. Altière leçon qui entend convaincre par le seul pouvoir du charme invincible de la musique. Livret théâtral, vif et habilement agencé du Révérend Thomas Broughton (1704-74), pasteur grand lecteur de Shakespeare, éditeur de Dryden et traducteur de Voltaire. Il signe là une tragédie équilibrée aux accents raciniens (sa Déjanire évoque Phèdre). Les vivants contrastes du support littéraire permettent ainsi au compositeur de déployer toute une palette de sentiments, de situations et de revirements psychologiques du plus extraordinaire effet. Victime d'une jalousie (péché mortel) qui la détruit elle-même, Déjanire s'oppose ainsi à la princesse Iole, captive et orpheline qui à elle seule incarne, peu à peu, les vertus théologales (Foi, Espérance, Charité). Mais en grand penseur du XVIIIe siècle, Haendel ajoute la notion, finale, de liberté, garantie de paix et d'amour.
De son clavecin comme au XVIIIe siècle, d'une manière à la fois rigoureuse et souple, Harry Bicket, littéralement dévoré par la partition, à la tête d'interprètes galvanisés, a donné une version de ce fulgurant chef d'oeuvre, une version mémorable. Transporté alors dans un autre monde, on se souviendra longtemps du Begone my fears ou du Cease, ruler of the day, to rise de Déjanire dont la monstruosité trouve en Alice Coote une interprète aussi passionnante que musicale. On n'oubliera pas de sitôt les bouleversants  Daughter of Gods ou Ah! Thinck what ills Jealousy d’Elizabeth Watts dont le timbre chaud et pur se prête merveilleusement à la noblesse, la beauté éclatante, l'humanité de Iole. Pas plus que les duos de ces deux femmes si passionnées mais si différentes, ou encore les interventions superbes d'Hercules (Matthew Rose), Hyllus (James Gilchrist), Lichas (Ruppert Enticknap). Le chœur extraordinaire de précision, de vie et de grandeur, tout comme l'orchestre d'une vingtaine d'instruments enrichis de deux trompettes, deux cors et d'un poétique archiluth sonnaient d'une merveilleuse façon, avec grâce, dignité, grandeur. Le public enfiévré de beauté leur fit une ovation.
Bénédicte Palaux Simonnet
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 14 février 2015

Les commentaires sont clos.