Paganini trop retouché

par

Nicolo Paganini (1782-1840)
24 Caprices pour violon seul, op. 1
Ilya Gringolts, violon
2013 - ORC100039 - 76'57'' - Notice en anglais et allemand - Orchid Classics

Enregistrer tous les Caprices de Paganini reste toujours un défi pour un violoniste, si talentueux soit-il. Presque deux cent ans après leur composition, ces études pour violon sont toujours à la base de l'enseignement moderne du violon. Il paraît inconcevable qu'un violoniste virtuose d'aujourd'hui échappe aux Caprices. Ces petites pièces recèlent des problèmes techniques en tous genres et des diableries pour les pauvres mains des violonistes. Peu de musiciens peuvent se targuer d'avoir la réputation de Paganini: à lui seul il incarne la virtuosité musicale. Toute une légende s'est créée autour de son habileté au violon ; il aurait vendu son âme au diable, il aurait été atteint d'une maladie qui l'aurait rendu si agile de ses doigts, etc… La notion de virtuosité est née de lui; on se souvient du choc qu'eut Franz Liszt dans sa jeunesse à l’écoute du violoniste génois en concert. Du jour au lendemain, il remit en question toute sa technique au piano et voulut atteindre cette maîtrise. Il y passa des mois et se mit à transcrire quelques Caprices. Ces Caprices jouissent d'une réputation ambiguë : connus et admirés pour leur difficulté mais relativement méprisés pour leur contenu musical. Il faut bien reconnaître leur distance par rapport aux Études de Chopin ou aux Études d'exécution transcendante de Liszt; le contenu musical y est moins profond, moins riche : avec Chopin ou Liszt, l'Étude tend plus vers le poème musical qui traite d'une technique particulière tandis que Paganini part davantage de la technique pour aller à la musique. On a tous en tête les magnifiques versions de Perlman, Gitlis ou Fischer, toutes différentes les unes des autres mais toutes très instructives, jetant un regard "neuf" sur ces oeuvres. On regrette dans ce disque une prise de son trop réverbérée : le jeu de Gringolts aurait mérité une acoustique plus sèche car à certains moments l'écoute est saturée de sons résonnants. Ilya Gringolts nous livre là une version très spéciale : très libre, très contrastée et très osée par moments…Gringolts est très lyrique et libre mais parfois, à trop prendre de liberté, on perd un peu les structures de phrases et la mélodie, certains traits semblent boulés tant ils sont accélérés et pressés. Le rubato est trop présent, systématique, laissant une impression de musique faite de ralentis et d'accélérés. En clair, ces Caprices sont paradoxalement trop "capricieux", trop instables rythmiquement et pas assez homogènes du point de vue du son ; Gringolts dispose d’une très bonne technique et est musicien mais il en fait trop dans les contrastes, passe d'un pianissimo à un forte subito et rend le discours de ces Caprices compliqué alors que cette musique doit sonner simple et aisée. Gringolts a trop sophistiqué et on quitte l'écoute avec trop d'informations pour si peu de musique. Tout l'art de Paganini est de faire beaucoup avec pas grand chose. L'interprète n'est pas là pour ajouter, au risque que cela sonne “ faux ”. A vouloir trop bien faire, on perd de vue de l'essentiel.
François Mardirossian

Son 8 - Livret 7 - Répertoire 8 - Interprétation 6

 

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