Redécouverte d’un compositeur portugais de la Renaissance

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Vicente Lusitano (c1520-c1562, fl. XVIe s.) : Praeter rerum seriem ; Regina caeli ; Aspice Domine ; Ave spes nostra, Dei genitrix ; Salve Regina ; Heu me, Domine ; Emendemus in melius ; Sancta Maria ; Sancta Mater, istud agas ; Inviolata, integra et casta es. The Marian Consort, Rory McCleery. Livret en anglais (avec paroles des chants en latin, traduits en anglais). Novembre 2021. TT 68’15. Linn CKD 694

 La Gitane maudite galvanise Le Trouvère à l’Opéra National de Paris

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Cette reprise de l’un des plus populaire opéras de Verdi (1853), dans la mise en scène d’Alex Ollé (Fura dels Baus, 2016), présente trois atouts : la force d’une œuvre-quintessence du romantisme européen, des direction et distribution de haut vol, le tout plongé dans un bain de latinité aux antipodes des rigueurs puritaines.

L’orchestre, ici dégagé d’impératifs scéniques hasardeux, se déploie dans toute son envergure. A sa tête, Carlo Rizzi, familier de Pesaro, de l’italianità mais également du Grand Opéra -il a notamment dirigé la Juive de Fromenthal Halévy (1835) si présente dans le Trouvère. D’un geste aussi précis qu’élégant, teinté d’une légère sprezzatura, il obtient un équilibre, une tension dramatique sans failles.

 Arturo Toscanini réclamait les quatre meilleurs chanteurs du monde pour le Trouvère. Cette distribution n’en est pas loin. Le plateau ne s’économise ni en puissance (au risque de saturer le système de spatialisation acoustique) ni en expressivité ; jusqu’aux nuances du chœur d’hommes qui surprennent agréablement par leur velouté.

Quoique peu prodigue en demi-teintes, le ténor azerbaïdjanais, Yusif Eyvazov, balaye tout sur son passage, assumant les périls de la partition avec une témérité qui force l’admiration. Le poète-guerrier sait se révéler également touchant en rival-frère du Comte de Luna (Etienne Dupuis).

Ce dernier met sa vaillance, son élégance, son timbre clair et sonore au service d’un personnage dominateur et jaloux dont la folie le distingue et l’éloigne du cynisme d’un Scarpia.

Beethoven : fin de l’intégrale symphonique du bicentenaire chez Harmonia Mundi

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Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Symphonie no 4 en si bémol majeur, opus 60. Symphonie no 8 en fa majeur, opus 93. Étienne Nicolas Méhul (1763-1817) : Symphonie no 1 en sol mineur. Luigi Cherubini (1760-1842) : Ouverture de Lodoïska. Bernhard Forck, Akademie für Alte Musik Berlin. Avril-mai 2021. Livret en français, anglais, allemand. TT 40’54 + 49’46. Harmonia Mundi 902448.49

 Eduard Van Beinum, la flamboyance et la mesure 

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Dès ce début d’année, Decca nous comble avec un coffret consacré aux enregistrements du chef d’orchestre Eduard Van Beinum pour les labels Decca et Philips. Trop négligé, ce legs était disponible de manière fort éparse, voire très difficile d’accès en dehors des Pays-Bas où ces enregistrements avaient fait les jours glorieux de collections destinées au marché local. 

Car Eduard Van Beinum (1900-1958), mort des suites d’une crise cardiaque en pleine répétition, fut sans doute l’un des plus formidables virtuoses de la baguette. Outre une parfaite flexibilité de répertoire qui le faisait exceller autant dans les oeuvres classiques que dans Bruckner, Mahler, Brahms ou les compositeurs de son temps, il présentait l’une des rares facultés à combiner verticalité et horizontalité dans ses interprétations en alliant la motricité à la lisibilité des lignes instrumentales tout en tendant l’arc dramatique. Par ailleurs, fruit d’une époque marquée par les grandes figures subjectives de l’interprétation : Wilhelm Furtwängler mais surtout son compatriote Willem Mengelberg dont il est le parfait opposé. Fuyant les fulgurances de ces illustres chefs et leurs maniérismes interprétatifs, Van Beinum est le serviteur de la musique et il fait parler la partition. Ses interprétations s’inscrivent dans la lignée moderniste de l’art de la direction, se faisant ainsi le précurseur des lectures issues du mouvement baroque. Méticuleux et exigeant en répétitions, il travaillait sans relâche à obtenir le meilleur des musiciens au service des volontés des compositeurs. Ainsi ses lectures des symphonies de Brahms, cursives, vigoureuses, chantantes et allégées, auraient bien pu être dirigées par un Harnoncourt…

  • Une biographie

Mais revenons sur la carrière de ce chef d’orchestre. Eduard Van Beinum voit le jour à Arnhem, aux Pays-Bas, où il reçoit très tôt ses premières leçons de violon et de piano. A l’âge de 16 ans, il intègre l’Orkestvereniging d'Arnhem en tant que violoniste en 1918. Chez les van Beinum, la musique est une affaire de famille :  son grand-père était chef d'orchestre d'une fanfare militaire ; son père jouait de la contrebasse dans l’Orkestvereniging d'Arnhem. Son frère Co van Beinum était lui-même violoniste, et les deux frères se produisaient en duo violon-piano lors de concerts. Le jeune Eduard Van Beinum intègre le Conservatoire d'Amsterdam, tout en pratiquant la direction d'orchestre au podium d'ensembles amateurs à Schiedam et Zutphen. Comme c’était de tradition à cette époque dans la formation des musiciens, il mène également des  concerts de la chorale de l'église Saint-Nicolas à Amsterdam. Cette école lui permet de développer des qualités dans son approche des musiciens, parvenant à tirer le meilleur d’artistes amateurs. Eduard Van Beinum est alors un pianiste très demandé et il se produit en récital à travers le pays avec son frère mais également sa fiancée Sepha Jansens. 

Retour à Vienne de L’Armurier d’Albert Lortzing pour ses 175 ans

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Albert Lorztzing (1801-1851) : Der Waffenschmied (L’Armurier), opéra-comique en trois actes. Günther Groissböck (Hans Stadinger, armurier et vétérinaire), Miriam Kutrowatz (Maria, sa fille), Juliette Mars (Irmentrauf, la gouvernante), Timothy Connor (Le comte von Liebenau/Konrad), Andrew Morstein (Georg, son écuyer), Ivan Zinoviev (Le chevalier Adelhof), Jan Petryka (Brenner, beau-frère de Stadinger) ; Chœurs Arnold Schoenberg ; Orchestre symphonique de la Radio ORF de Vienne, direction Leo Hussain. 2021. Notice en allemand et en anglais. Texte complet du livret en allemand avec traduction anglaise. 103.00. Un album de deux CD Capriccio C5490. 

Tristan et Isolde sans Tristan ni Isolde à l’Opéra de Paris

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Depuis presque vingt ans (2005), le dispositif vidéo conçu par Bill Viola pour le chef d’oeuvre de Wagner s’empare de l’inconscient du spectateur avec une efficacité remarquable au point que le rituel de purification bouddhiste, les ruissellements, les brumes et les forêts traversées de halos, les flammes et les chorégraphies fœtales ont quasiment acquis le statut de « vache sacrée » (dernière reprise sur la même scène en 2018).

Pourtant, sans douter de sa valeur intrinsèque, un certain décalage avec le mythe occidental de Tristan et Iseult apparaît ; encore plus avec l’opéra, lui aussi « culte », que Wagner composa pour l’amour de Mathilde Wesendonck (créé à Munich, le 10 juin 1865).

Avec le temps, les mouvements « cosmiques » (qui firent scandale en 2005) projetés sur un écran au dessus des chanteurs restent beaux mais se révèlent sans audace, voire même, franchement aseptisés.

De plus l’enchaînement des images conduit non pas dans la dynamique d’un vortex comme à Baden-Baden en 2007 avec l’Isolde irradiante et inégalée de Nina Stemme (2007) mais vers une régression utérine (embryons qui s’ébattent dans un liquide amniotique puis s’effacent). Le mythe de « Tristan et Iseult » est dès lors tourné entièrement vers la mort-néant et non vers la mort d’amour (« Liebestod » du dernier acte).

Le choix d’une esthétique visuelle sans aspérité, parfois clinique, parfois « fleur bleue » (vagues, arbres, ciels), vient renforcer cette impression.