L'esprit slave avec le jeune chef Dmitry Matvienko

par

L’Orchestre Philharmonique de Monte Carlo accueille le jeune chef Dmitry Matvienko, lauréat de l’édition 2021 du Concours Malko, compétition émérite danoise réservée aux chefs d’orchestres en devenir. Il se présente au pupitre de l’OPMC pour un programme qui allie un grand concerto classique du répertoire avec deux raretés russes. 

En compagnie du violoncelliste Mario Brunello, il se lance dans le célèbre Concerto pour violoncelle de Dvořák. Mais le soliste n'y fait pas l'unanimité. Il a les qualités de ses défauts et les défauts de ses qualités : il commence le concerto par une série de fausses notes, ce qui est assez déconcertant. On sait Brunello soucieux de sortir la musique classique de son carcan mais à vouloir sur-interpréter,  il sacrifie la justesse et met sa vision en avant, avec un vibrato souvent exagéré. De son côté l’orchestre peine à s’élever et l’accompagnement s’avère lourd.  C’est une prestation plutôt décevante que vient sauver un “bis” inattendu et émouvant : une transcription pour violoncelle de la  mélodie ancienne arménienne “Havun, Havun”. Le son qu’il produit, profond et plaintif, doux et velouté, légèrement nasillard, est particulièrement adapté à l’expression de la souffrance, de la tristesse et du recueillement. L'interprétation de Brunello au violoncelle est envoûtante et les sonorités sont profondes, enveloppantes et mystérieuses. Ce “encore”  nous réconcilie après la prestation dans le  concerto et il confirme que Brunello, artiste clivant qui génère autant de détracteurs que d'admirateurs, est excellent dans ce qui sort des frontières du classique.   

A l’OSR, le succès mérité de Fabio Luisi 

par

Pour venir en aide au Réseau du Cancer du sein qui œuvre depuis vingt ans, l’Orchestre de la Suisse Romande convie le grand public à deux concerts donnés au Victoria Hall les 8 et 10 octobre. A cette occasion, il rappelle à Genève Fabio Luisi qui a été le directeur musical de l’ensemble romand de 1997 à 2002, période de cinq années dont nous avons conservé un souvenir mitigé, tant l’entente entre le chef et les musiciens était difficile. Le maestro a pris par la suite la succession de James Levine au Met de 2011 à 2017, tout en devenant le Generalmusikdirektor à l’Opernhaus de Zürich depuis 2012 jusqu’à nos jours. Il reparaît donc au Victoria Hall face à une formation qui a accueilli nombre de nouvelles recrues au cours de ces deux dernières années.

Le concert débute par le mal aimé et le moins connu des concerti de Sergueï Rachmaninov, le Quatrième en sol mineur op.40, créé par l’auteur lui-même au piano et l’Orchestre de Philadelphie dirigé par Leopold Stokowski le 18 mars 1927 et n’obtenant qu’un accueil glacial. Ici la soliste en est la jeune pianiste française Lise de la Salle qui se laisse galvaniser par l’énergique exposition instrumentale en produisant un jeu clair et ample qui paraît d’abord un peu raide avant de se libérer dans le dialogue avec le cor anglais et les bois. La technique s’avère éblouissante tout au long de cet Allegro vivace qui, bien curieusement, ne comporte aucune cadence. Alors que le canevas instrumental murmure en sombres demi-teintes la chanson enfantine ‘Three Blind Mice’, le solo se dépouille de tout effet jusqu’au brutal coup de théâtre qui électrise l’atmosphère. Le Final accuse les contrastes rythmiques et les oppositions de coloris par des traits brillants que le public applaudit à tout rompre. Prenant la parole, Lise de la Salle propose en bis une page que l’on aurait pu entendre dans un cabaret new yorkais de l’époque (Fats Waller en est-il l’auteur ?)

Madrigaux et Chansons de Philippe de Monte, les derniers feux de la Renaissance éclairés par une saillante vocalité

par

Philippe de Monte (1521-1603) : Madrigaux et Chansons. Ratas del viejo Mundo : Michaela Riener, soprano ; Soetkin Baptist, mezzo-soprano ; Anne Rindahl Karlsen, contralto ; Tomàs Maxé, basse ; Salomé Gasselin, Garance Boizot, violes de gambe ; Floris de Rycker, luths, guitare. Livret en anglais, allemand, français ; paroles des chants en langue originale et traduction anglaise. Septembre 2020. TT 50’50. Ramée, RAM 2004

La grandeur de Richter dans le répertoire russe 

par

Sviatoslav Richter plays Russian Composers. Oeuvres de : Piotr Illich Tchaïkovski  (1840-1893),  Alexandre Borodine (1833-1887), Anatole Liadov (1855-1914), Alexandre Glazounov (1865-1936), Modeste Moussorgsky (1839-1881), Serge Rachmaninov (1873-1943), Alexandre Scriabine (1872-1915), Serge Prokofiev (1891-1953), Dmitri Chostakovitch (1906-1975), Mikhail Glinka (1804-1857), Alexandre Dargomijsky (1813-1869). Sviatoslav Richter (piano), *Nina Dorliac (soprano), différents orchestres et chefs. Texte de présentation en anglais et allemand.  13 CD Hänssler Profil.  PH19061

La Princesse jaune de Saint-Saëns, une plaisante japonaiserie

par

Camille Saint-Saëns (1835-1921) : La Princesse jaune, opéra-comique en un acte ; Mélodies persanes, cycle avec orchestre d’après diverses instrumentations de Saint-Saëns. Judith van Wanroij (Léna), Mathias Vidal (Kornélis) ; Philippe Estèphe et Jérôme Boutillier, barytons ; Eléonore Pancrazi, mezzo-soprano ; Artavazd Sargsyan, ténor ; Anaïs Constans et Axelle Fanyo, sopranos ; Orchestre national du Capitole de Toulouse, direction Leo Hussain. 2021. Notice en français et en anglais. Texte complet du livret et des poèmes, avec traduction anglaise. Un livre/CD Palazzetto Bru Zane BZ 1045.

Orgue en duo (violon, trompette ou… accordéon) : trois nouvelles parutions

par

Du post-romantisme germanique jusqu'à nos jours, dans ces trois disques les tuyaux sont en duo. Avec accordéon autour d'accueillantes créations polonaises, avec trompette dans un répertoire contemporain qui titre la quête spirituelle, avec violon dans un programme allemand début du XXe siècle.

AerOphonic. Musique pour accordéon et orgue. César Franck (1822-1890) : Prélude, Fugue et Variation Op. 18. Maciej Zakrzewski (*1988) : Silent Easter ; Speeches ; Die Ganzen Welt. Paweł A. Nowak (*1985) : Iwonka’s groove ; Iwonka’s dance in a dream ; Siódemka Babci Iwonki ; Babcia Iwonka’s Samba. Paweł A. Nowak, accordéon. Maciej Zakrzewski, orgue de l’église św. Andrzeja Boboli de Gdynia (Pologne). Mai 2021. Livret en polonais, anglais. TT 60’01. Acco Music 004/2021

Poignant et si beau Pelléas et Mélisande – Claude Debussy 

par

Perdu en forêt lors d’une partie de chasse, il l’a découverte près d’un plan d’eau, hagarde, terrorisée. Elle a beaucoup souffert, lui dit-elle, et vient de jeter une couronne dans l’eau. Non, il ne doit surtout pas tenter de la récupérer. Elle s’appelle Mélisande. Lui, Golaud, la prend sous sa protection. Il l’épousera et finira par rentrer chez lui, là-bas, au château familial d’Allemonde où l’attendent sa mère Geneviève et son grand-père Arkel. Et surtout Pelléas, son demi-frère. La tragédie aura lieu. 

Le livret de Maurice Maeterlinck, adapté de sa pièce de théâtre, conduit inexorablement les tristes héros à leur tragique destinée. Il est une merveille d’évocations, de signes annonciateurs, de phrases reprises, de suggestions, de métaphores, de silences significatifs. Il y a ce qu’on saisit immédiatement, il y a ce qu’on se rappelle. Symboliste tout simplement. « Nous ne voyons que l’envers des destinées ».

Claude Debussy a fait sien ce récit, il l’a inscrit dans une musique tout aussi évocatrice, qui s’ouvre à tant de sens quant aux êtres et à ce qu’ils vont (devoir) vivre. Une musique surtout à l’extraordinaire prosodie. Elle a fusionné avec les mots qu’elle accompagne, qu’elle magnifie, qu’elle multiplie. C’est sans doute l’une des plus belles rencontres entre un texte et une partition.

1921-2021, le Donaueschinger Musiktage a 100 ans (et ce n’est pas courant)

par

Petite ville du Bade-Wurtemberg de 22.000 habitants, Donaueschingen, en Forêt Noire, est le point de départ de la « Piste cyclable internationale le long du Danube » (1200 km jusqu’à Budapest) et accueille, joliment mise en valeur, la source du fleuve (dont la couleur se marie si bien à la valse, bleue), le château des Princes de Fürstenberg (le nom résonne plus aujourd’hui aux oreilles des amateurs de houblon, même si la brasserie locale est loin d’égaler nos bières d’abbayes) et le festival le plus ancien (et probablement le plus célèbre) de musique contemporaine.

Chaque année depuis 1921 (aux années de guerre -et autour- et transfert -temporaire- à Baden-Baden près), les curieux aux grandes oreilles, les fouineurs au nez long, les fureteurs aux yeux affutés prennent le risque de l’expérimentation et de la découverte, le risque de l’éblouissement et de la désillusion (la recherche fondamentale, en musique comme ailleurs, a un rendement hautement aléatoire), le risque d’être désarçonné, dérouté même, parfois irrité, plus souvent séduit, au moins titillé. Chaque année depuis un siècle, des dizaines de musiciens investissent la ville : les Donauhallen plus récentes (aux noms de Stravinsky, Bartók, Mozart) bien sûr, mais aussi les salles de sport, les écoles, bibliothèques, musées, églises, arrière-boutiques, bistrots… - autant d’endroits éloignés de l’acoustique ahurissante des salles de concert bâties par des architectes plus ou moins visionnaires et efficaces ; autant de lieux qu’on apprend à connaître, à dépister, dont on parcourt les allées à la recherche du disque dont on ignore l’existence, du livre dont on a entendu parler (mais trop vaguement), de la partition qu’on n’imagine plus trouver -et autour desquels, dans la brume froide d’octobre, on se réchauffe d’une bratwürste à la moutarde douce (et d’une Fürstenberg) au camion-stand des secouristes (imagine-ton la Croix-Rouge servir des bières ?).

Premier enregistrement de la Missa Solemnis d’Andreas Hallén : radieux chant du cygne

par

Andreas Hallén (1846-1925) : Missa Solemnis. Pia-Karin Helsing, soprano. Maria Forsström, contralto. Conny Thimander, ténor. Andreas E Olsson, basse. Lars Nilsson, orgue. James Jenkins, piano. Lars Sjöstedt, célesta. The Erik Westberg Vocal Ensemble, dir. Erik Westberg. Octobre 2019, février-mars 2020. Livret en anglais, texte latin de la messe traduit en anglais. TT 62’39. Swedish Society SCD1178