Sans aucun filtre : la Forza del destino à Liège

par

La Forza del Destino, telle qu’elle est représentée à l’Opéra de Liège en ouverture de la saison, est typique d’une certaine façon d’entretenir la pérennité d’un genre qui ne cesse d’exalter ses spectateurs. Une intrigue (plutôt) compliquée, des personnages déchirés, des airs fastueux dans le bonheur ou le désespoir, un chef attentif et précis, une discrétion scénique sans filtre qui laisse toute leur place aux voix.

C’est en 1862, à Saint-Pétersbourg, et en 1869, à Milan, enrichie alors de sa fameuse ouverture, que l’œuvre est successivement créée. Elle a ému, elle a exalté, elle ne cesse d’émouvoir, elle ne cesse d’exalter. C’est qu’elle porte bien son titre : ce qui est à l’œuvre là, et dans toute sa force, c’est le destin, fatal évidemment. On ne cesse de le répéter d’ailleurs, j’ai vite abandonné de compter le nombre de fois où les personnages en soulignent la présence et les effets dévastateurs.

Don Alvaro et Donna Leonora de Vargas s’aiment d’un amour contrarié, ils veulent s’enfuir. Surgit le père de Leonora. Un geste malheureux d’Alvaro, un coup de feu accidentel, le père est mortellement touché. De quoi susciter un désir irrépressible de vengeance chez Don Carlo di Vargas, le frère de Leonora. Une vendetta dont les épisodes emmèneront le spectateur dans une auberge, un couvent, une église, un champ de bataille, un camp militaire, le couvent de nouveau et une grotte d’ermite. La complexité de l’intrigue prouve à merveille que le destin ne se fatigue jamais ! De plus, contrairement à d’autres opéras de Verdi, comme Otello par exemple, l’intrigue ne se concentre pas uniquement sur ses héros, elle accorde pas mal de place à des personnages annexes : le Père Guardiano, l’imposant supérieur du couvent, Fra Melitone, un moine jaloux et drôlement colérique, Preziosilla, une bohémienne à la Carmen, Trabuco, un muletier affairiste. Ils ont leurs moments. En fait, ils sont une façon -shakespearienne- pour Verdi et son librettiste d’aérer leur terrible propos, de le ramener « au niveau du sol », avant de lui rendre toute son intensité. 

Les accents romantiques tardifs d’Ernst von Dohnányi et de Leó Weiner ?  Bien séduisants ! 

par

Ernst von Dohnányi (1877-1960) : Tante Simona, ouverture, op. 20. Suite en fa dièse mineur, op. 19. American Rhapsody, op. 47. Leó Weiner (1885-1960) : Sérénade en fa mineur pour petit orchestre, op. 3. Orchestre symphonique ORF de la Radio de Vienne, direction Roberto Paternostro. 2019-2020. Notice en allemand et en anglais. 74.40. Capriccio C5380.

Michael Spyres : un virtuose unique

par

Baritenor. Michael Spyres .Airs de Mozart, Méhul, Spontini, Rossini, Adam, Donizetti, Verdi, Thomas, Offenbach, Wagner, Leoncavallo, Lehar, Ravel, Orff, Korngold. Orchestre philharmonique de Strasbourg, direction : Marko Letonja. 2021. Notice de présentation en anglais, français, allemand.  84’30.  Erato. 0190295156664.

Emouvants chants arméniens pour enfants par la soprano Isabel Bayrakdarian

par

Gomidas Vartabed (1869-1935) : Six chants d’enfants ; Cinq Berceuses, fragments, et sept chansons enfantines. Parsegh Ganatchian (1885-1967) : Cinq chansons enfantines. Mihran Toumajan (1890-1973) : Chansons et berceuses. Chants traditionnels tirés de sources variées. Isabel Bayrakdarian, soprano ; Ellie Choate, harpe ; Ray Furuta, flûte ; Ruben Harutyunyan, duduk. 2021. Notice en anglais, en allemand et en français. Textes des chansons en langue originale avec traduction anglaise. 73.00. Avie AV 2449.

L’Atelier Lyrique de Tourcoing lance sa saison

par

Le lancement de saison 2021-2022 de L’Atelier Lyrique de Tourcoing s’achevait ce 25 septembre par deux récitals baroques, d’esprit antinomique et complémentaire : affliction puis réjouissance. À 18 heures en l’église Saint-Christophe : un programme principalement italien titré « Il pianto della Madonna » s’inscrivait dans la thématique pascale de la Passion et des larmes de la Vierge. L’ordonnancement, quoique cohérent, dérogeait à la notice distribuée aux spectateurs et reprenait la structure du disque homonyme réalisé en août 2015 à Deauville pour le label B Records par l’Ensemble Desmarets. On en reconnut d’ailleurs la plupart des musiciens investis dans une nouvelle structure (Acte 6) : Robin Pharo à la viole, Marc Wolff à l’archiluth, Maïlys de Villoutreys au chant, complétés par Julie Dessaint (viole) et Samuel Hengebaert (viola da spalla) qui assurait la codirection artistique avec Ronan Khalil (clavecin/orgue).

Après le Salve Regina à nu, exhalé derrière les musiciens qui lui répondirent par une Recercada de Diego Ortiz, on entendit son élaboration par Barbara Strozzi (1619-1677). Dans la fermeté (ad te clamamus, exules filii Evæ) comme dans la nuance (in hac lacrimarum valle), la soprano domina les enjeux expressifs de l’antienne de la compositrice vénitienne, jusqu’à un dulcis Virgo Maria blanc comme le lys qui révélait une voix plus claire que chaleureuse. La brève Passacaille de Luigi Rossi dissipa l’imploration et transigea vers la célèbre Lamento d’Arianna de Claudio Monteverdi : sa version sacrée incluse dans le Selva Morale e spirituale, qui transpose sur le terrain spirituel la déploration d’Ariane pour Thésée. Les estompes (mi Fili), les soupirs (Mea spes, mea vita), le filé de la voix : une subtilité manquant peut-être seulement de cette souplesse latine qui lui apportât un surcroît de flamme avant l’ultime vacillement du Matris amore.

Le sommet du récital advint avec l’hypnotique et douloureux Hor ch’è tempo di dormire de Tarquinio Merula : l’arche d’intensité fut suggérée par des effets spatiaux (Maïlys de Villoutreys remonta la nef vers le chœur) et par le renforcement progressif de l’accompagnement, pour un captivant effet dramatique. Ce que cette berceuse peut receler de monotone se trouva transfiguré. Humble et bouleversant, de loin la meilleure interprétation qu’on en ait entendu, y compris au catalogue discographique. Cordes pincées, solo d’orgue : l’intermède amena le Stabat Mater de Giovanni Felice Sances (1600-1679) conclu par des vocalises et des zébrures de viola da spalla qui moiraient la vision de gloire du paradis. En termes de timbre, stabilité d’émission et séduction, c’est le fervent O Maria de Strozzi qui montrait la jeune chanteuse à son meilleur et refermait ce précieux concert par un rayonnement collectif gagé par l’alléluia. Les applaudissements rappelèrent plusieurs fois les six artistes qui se séparèrent de l’assistance par un bis.

A Genève, l’OSR rend hommage à Armin Jordan    

par

Il y a quinze ans disparaissait, le 20 septembre 2006, Armin Jordan, le chef le plus emblématique de l’Orchestre de la Suisse Romande après son fondateur, Ernest Ansermet. Titulaire de la direction artistique et musicale de 1985 à 1997, il laisse le souvenir d’un musicien au répertoire immense, s’ingéniant à faire découvrir nombre de créations contemporaines et d’œuvres françaises, germaniques ou russes oubliées. 

Pour lui rendre hommage, l’Orchestre de la Suisse Romande a organisé, au Victoria Hall le 23 septembre, un concert qui a été pris d’assaut par tous les auditeurs genevois qui ont gardé en mémoire tant l’artiste que l’homme simple à la générosité proverbiale qu’il s’ingéniait à pimenter d’un humour souvent caustique. 

L’on a donc fait appel au chef bernois Stefan Blunier qui, depuis 1992, a œuvré dans les théâtres de Mayence, Augsbourg et Darmstadt avant de devenir Generalmusikdirektor à Bonn de 2008 à 2016. Le Grand-Théâtre de Genève l’a applaudi dans les productions de Wozzeck et de Der Zigeunerbaron.

Son programme débute par la page la plus célèbre d’Arthur Honegger, Pacific 231, évoquant la mise en marche d’une locomotive effarante qui accélère progressivement comme un ‘pas d’acier’ que se partagent bois et cuivres et que ponctuent sèchement les cordes. Puis le ralentissement s’étale en un diminuendo de valeurs longues…

Les Dissonances dans Ravel, Enesco et Stravinsky : une sacrée leçon de musique 

par

Heureux les Parisiens d’avant la Première Guerre mondiale qui ont pu, en moins d’un an, assister à deux créations des Ballets russes qui ont marqué l’histoire de la musique !

En effet, le 29 mai 1913, au Théâtre des Champs-Élysées, c’était le fameux scandale du Sacre du Printemps, le public n’ayant pas supporté cette musique barbare, inouïe, insoutenable, unique dans la production d’Igor Stravinsky, tellement insensée qu’elle n’eut pas réellement de descendance. Et le 8 juin 1912, au Théâtre du Châtelet, les Parisiens avaient découvert Daphnis et Chloé, immense fresque bouleversante de sensualité contenue, de lyrisme pudique, de transparence aux mille couleurs, qui ne pouvait qu’être l’œuvre de Maurice Ravel. Si cette création n’a pas fait autant de bruit (c’est doublement le cas de le dire, à la fois par la délicatesse des timbres et par la réaction des spectateurs) que celle du « Massacre du tympan », c’est aussi parce qu’elle avait été éclipsée par un autre événement chorégraphique, quelques jours avant et toujours par les Ballets russes, qui fit également scandale pour son érotisme : le Prélude à l’après-midi d’un faune, sur la musique écrite vingt ans plus tôt par Claude Debussy. Oui, heureux Parisiens de ce temps-là !

Ces deux œuvres étaient au programme de ce concert des Dissonances, séparées par une œuvre qui, si elle n’a pas eu en elle-même le même impact historique, est parfaitement représentative du courant contemporain qui introduisait la musique traditionnelle dans la musique dite savante, et qui exerça une influence décisive. L’on ne peut évoquer ce courant sans citer le Hongrois Béla Bartók, bien sûr, mais aussi, dans la Roumanie voisine, Georges Enesco, et en particulier ce Caprice Roumain pour violon et orchestre, qui venait donc s’intercaler entre Daphnis et le Sacre.

Robert le Diable à Bordeaux, une production diaboliquement entrainante

par

Cela fait longtemps que Robert n’a pas exercé son pouvoir diabolique en France ; en cette fin septembre, il réapparaît pour la première fois depuis plus de 35 ans. Ceux qui y avaient assisté en parlent toujours. Lors de la première de la présente production à l’Auditorium de l’Opéra National de Bordeaux, le 20 septembre 2021, de rares témoins nous ont livré, comme si c’était hier, le ravissement éprouvé à une des représentations à l’Opéra de Paris en 1985. Pour l’ouverture de la saison, mais aussi pour sa dernière saison, Marc Minkowski, Directeur Général de l’institution, dirige lui-même l’orchestre pour trois soirées.

La force de l’orchestre
Ce qui frappe tout au long du spectacle, c’est la grande force accordée à l’orchestre qui joue son propre rôle. Fabuleuse est la partition de Mayerbeer, surtout son orchestration : des solos de timbales jouant la mélodie (!) de certains airs en guise de leur prélude, des ensembles de cuivres, de bois ou des harmonies en entier donnant des couleurs inattendues, des cordes massives, ou encore différentes combinaisons d’instruments créant des effets surprenants… On perçoit en filigrane une filiation avec la Symphonie Fantastique de Berlioz créée un an plus tôt, et par là, le goût pour le grandiose qui dominait cette époque.
Tous ces effets sont sublimés par la baguette de Marc Minkowski qui exalte les musiciens d’orchestre au plus haut niveau. Tous les détails sont attentivement interprétés, si bien que chaque pupitre est justement mis en valeur. En revanche, les choristes masqués, placés sur les balcons en arrière-salle avec une grande distanciation entre eux, ne réussissent pas à se faire entendre comme la partition le suggère. On attendra une véritable mise en scène pour que le chœur joue lui aussi son personnage selon l’esthétique du grand opéra.

Clavecin voyageur et poète, autour de la postérité du Lachrymae de Dowland

par

Girolamo Frescobaldi (1583-1643) : Toccata Settima ; Toccata Quarta ; Toccata Prima. Laurencius di Roma (c1567-c1625) : Fantaisie de Mr. De Lorency. Luigi Rossi (c1597-1653) : Passacaille del Seigr. Louigi. Gregorio Strozzi (1615-1687) : Toccata quarta per l’elevatione. Jan Pieterszoon Sweelinck (1562-1621) : Fantasia cromatica. Giovanni Picchi (c1571-1643) : Ballo alla Polacha con il suo Saltarello - alt. I & II. John Bull (c1562-1628) : Melancholy Pavan ; Melancholy Galliard. Henrich Scheidemann (595-1663) : Pavana Lachrymae WV 106 (attrib.). Luzzasco Luzzaschi (1545-1607) : Toccata del IV tuono. Bernardo Storace (c1637-c1707) : Recercar di Legature. Antonio Valente (c1520-c1580) : Sortemeplus, con alcuni fioretti. Orlando Gibbons (1583-1625) : Pavana CCXCII. Jean Rondeau, clavecin, arpicordo. Livret en français, anglais, allemand. Août 2020. TT 79’53. Erato 0190295008994