Crescendo Magazine reprend l'un de ses grands succès : le dossier Schumann qui avait été publié dans ses éditions en papier. La première étape de ce parcours est une évocation de Schumann en symphoniste par Harry Halbreich.
L'orchestre de Schumann: quel abondant sottisier au dictionnaire des idées reçues!… Il ne savait pas orchestrer, il manquait de formation et de connaissances en la matière, son orchestre sonne mal, regorge de gaucheries et de maladresses… Holà, un peu d'ordre dans tout cela! Et tout d'abord, s'il est exact que Schumann compositeur fut presque un autodidacte, si ses études d'écriture, tôt interrompues, ne durèrent qu'une année, rappelons que l'orchestration ne fit pas partie du curriculum des conservatoires avant le vingtième siècle, que cela s'apprenait "sur le tas", et que personne, et pour cause, n'a jamais pu lui reprocher de manquer de maîtrise du contrepoint ou de l'harmonie.
Il est vrai que l'on naît avec le don de l'écriture orchestrale, et que Schumann, dans ce domaine, n'eut jamais l'éclat et l'audace d'un Berlioz, ni la parfaite élégance et la transparence de son ami Mendelssohn. Mais il admira sa vie durant, avec une pointe d'envie, la prodigieuse aisance et la facilité d'écriture de ce dernier, sans égale depuis Mozart. Et quant à Berlioz, la palette expressive de Schumann n'appelait ni ne nécessitait des couleurs comparables. Et puis, Berlioz et Mendelssohn furent sans doute les plus grands chefs d'orchestre professionnels de leur temps, alors que l'activité, d'ailleurs tardive, de Schumann dans ce domaine devait s'avérer paradoxalement plutôt un obstacle qu'un adjuvant, comme nous le verrons. Il reste que l'orchestre de Schumann est très exactement celui de sa musique, et non point quelque brillant habit extérieur et autonome, comme chez Rimsky-Korsakov, par exemple. Il est difficile à bien faire sonner et exige des chefs d'orchestre particulièrement sensibles et attentifs? Certes, mais il ne "sonne" certainement pas plus mal que celui de Brahms, et nettement mieux que celui de César Franck. Au vingtième siècle, celui d'Arthur Honegger, et surtout de Paul Hindemith, posent des problèmes semblables: compacité, voire opacité, excès des "doublures", empâtement des registres graves, autant de défauts évidents. Oui, l'orchestre de Schumann est un orchestre qu'il faut "aider". Mais en commençant par respecter ses exigences propres.
Prenons pour modèle l'Orchestre que dirigeait Mendelssohn, celui du Gewandhaus de Leipzig, pour lequel les œuvres de Schumann ont été conçues au départ. Nous avons des documents tant écrits que picturaux en la matière: trente à trente-cinq archets au maximum, jouant debout, et avec des cordes en boyaux, un total de cinquante à soixante instrumentistes. Respectez ce nombre, respectez les sonorités d'époque, et tout soudain nous aurons les nuances, les dégradés, les couleurs auxquelles nos modernes philharmonies à seize premiers violons à cordes de métal, nos cuivres volumineux, voire épais, nos contrebasses-éléphants ne peuvent atteindre. On a compris depuis quelques décennies la nature du problème pour la musique baroque, puis classique. S'il ne saurait être question de jouer Schumann avec les effectifs de Vivaldi ou de Haydn, des formations comme l'Orchestre Romantique et Révolutionnaire, l'Orchestre des Champs-Elysées ou l'Age of Enlightment ont permis de retrouver les couleurs et l'équilibre sonore auxquels pensait Schumann, au plus grand bénéfice de sa musique.