Sans kilts, ruines ou bruyères, Lucia di Lammermoor subjugue toujours Paris

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Cette reprise de la mise en scène d’Andrei Serban pour le chef d’œuvre de Donizetti date de presque trente ans. Elle n’a pas vieilli puisqu’elle n’a pas d’âge. Seuls, costumes, accessoires et articulations des passerelles accusent la fatigue. Les allusions aux séances du Professeur Charcot à la Salpêtrière sur l’hystérie, les chœurs coiffés de hauts-de-forme alignés en rangs d’oignons autour de l’amphithéâtre-citerne restent incongrus mais discrets. Dans l’arène, gymnastes aux agrès, conscrits, échelles croisées, jeux de scènes périlleux sont supposés mettre en évidence la solitude d’une héroïne broyée par l’univers masculin.

C’est oublier un peu vite les motifs de la haine qui oppose les Ashton et les Ravenswood et, surtout, que c’est Lucia qui tient le poignard et qui tue. Déraciner la Fiancée de Lammermoor de son terreau écossais, du contexte de son élaboration (1835), en faire une abstraction hors sol, c’est aussi l’appauvrir et même la gauchir.

Heureusement, la dynamique dramatique voulue par Donizetti opère à plein régime servie par d’excellents interprètes qui font oublier ce morne parti-pris.

Les premières mesures laissent présager un sens dramatique haletant de la part du jeune chef (né en 1988) de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Aziz Shokhakimov. Les interventions des pupitres solistes (cuivres en particulier), l’inertie des masses chorales, l’exigence de mise en place (fameux sextuor, A.II) rendent la suite moins cohérente. Toujours à l’écoute des chanteurs, le chef ousbek leur offre un espace propice au bel canto. S’il n’en est pas tout à fait familier, nul doute que ce surdoué sensible ne s’enrichisse très vite au contact d’artistes tels Javier Camarena et Mattia Olivieri.

 A tout seigneur, tout honneur, le baryton italien fait une entrée fracassante sur la scène parisienne. Beau, fringuant, il habite l’espace scénique et sonore d’un irrésistible magnétisme.

Son art du chant coloré, riche, libre, apporte au personnage d’Enrico, frère de l’héroïne, habituellement brutal, borné et antipathique, une stature inhabituelle. La violence se fait plus humaine et la séduction du couple qu’il forme avec sa sœur Lucia le rend beaucoup plus intéressant.

Phénomène rare, la qualité de l’interprétation jette une lumière nouvelle sur l’œuvre. Ici, elle met en évidence le versant manifestement incestueux de la relation fraternelle.

Face à lui, l’amant maudit, Edgardo, trouve en Javier Camarena  un interprète qui met son art des nuances et la texture chatoyante de sa voix au service du personnage. Son aria di tomba du dernier acte « Tombe degli avi miei » aussi belle que désespérée reçoit une ovation méritée.

Lucia di Lammermoor à l'Opéra de Nice

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L'Opéra de Nice continue sa saison avec un autre sommet du belcanto Lucia di Lammermoor de Gaetano Donizetti. 

Après La Sonnambula de Bellini, avec la révélation de l'extraordinaire Sara Blanch,  nous découvrons une Lucia exceptionnelle incarnée par la soprano américaine Kathryn Lewek. Elle se montre époustouflante dans la maîtrise de la ligne de chant autant que dans l'art des vocalises. Sa palette de nuances et ses pianissimi sont produits avec des tons magnifiques. Chaque mot est articulé au maximum. Elle a une technique, une puissance et une subtilité sans faille qu’elle combine avec un jeu scénique bouleversant.

Dans le fameux air de la folie, il y a encore plus de lumières et d'ombres fantomatiques et hallucinatoires dans sa voix. Une pure extase qui s'envole dans un tourbillon vocal. Elle chante comme le faisaient les sopranos d'autrefois. Le reste de la distribution est du plus haut niveau. Le saisissant jeune ténor calabrais Oreste Cosimo campe le rôle de l'amant Edgardo en donnant une leçon de musicalité et de perfection technique. 

 Il a une superbe voix, impeccablement dosée et raffinée, tour à tour virile et tendre. Il est également un excellent acteur, très à l'aise sur scène. Le baryton bulgare Vladimir Stoyanov remplace au pied levé Mario Cassi souffrant. Il a acquis une reconnaissance internationale et se produit sur les principales scènes d'opéra du monde. Il a déjà interprété le rôle d'Enrico au Met à N.Y. et à Berlin et son interprétation est des plus satisfaisantes. Philippe Kahn avec sa voix chaude de basse et son physique imposant est un Raimondo prodigieux.

Première mondiale au disque : Lanzelot de Paul Dessau, un opéra paroxystique  

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Paul Dessau (1894-1979) : Lanzelot, opéra en quinze tableaux. Emily Hindrichs (Elsa), Máté Sólyom-Nagy (Lanzelot), Oleksandr Pushniak (Dragon), Juri Batukov (Charlemagne), Wolfgang Schwaninger (Le bourgmestre), Uwe Stickert (Heinrich), Daniela Gerstenmeyer (le chat), Andreas Koch (le médecin) et une dizaine d’autres rôles ; Chœurs du Deutschen National Theater de Weimar et du Théâtre d’Erfurt ; Chœur d’enfants de la Schola Cantorum de Weimar ; Staatskapelle de Weimar, direction Dominik Beykirch. 2019. Notice en allemand et en anglais. Pas de texte du livret, mais synopsis en allemand et en anglais. 129.20. Un coffret de deux CD Audite 23.448. 

Une interprétation magistrale de la Tempête de Jean Sibelius 

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Jean Sibelius (1865-1957) : La Tempête, musique de scène d’après Shakespeare pour solistes, choeur et orchestre. Hanne Fischer, Ariel ; Kari Dahl Nielsen, Juno ; Fredrik Bjellsäter, Stephano ; Palle Knudsen, Caliban ; Nicolai Elsberg, Trinculo. The Royal Danish Opera Chorus, The Royal Danish Orchestra, direction : Okko Kamu. 2022. Livret en anglais et danois Texte chanté en danois, traduction en anglais. 64’50’’. Naxos. 8.574419. 

A Genève, un Orchestre de Chambre de Lausanne chatoyant 

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Alors que l’Orchestre de la Suisse Romande entreprend sa tournée en Allemagne, l’Orchestre de Chambre de Lausanne est une fois de plus son invité pour la soirée du 15 février au Victoria Hall de Genève. Sous la direction de Renaud Capuçon qui porte la double casquette de chef titulaire et de soliste, son programme est des plus variés puisqu’il commence par la Première Symphonie en ré majeur op.25 de Sergei Prokofiev dite Classique. Et c’est bien le qualificatif qui convient à l’écoute de l’Allegro con brio initial au phrasé pimpant, allégeant le discours des premiers violons afin de créer de subtils contrastes puis sollicitant le bourdonnement des basses pour un Larghetto finement chaloupé s’achevant en points de suspension. La Gavotte affiche une fierté d’accent que tempérera le contre-sujet diaphane, tandis que le Final tient du Presto endiablé, négocié avec panache. 

Renaud Capuçon reparaît ensuite avec son Guarneri del Gesù Panette de 1737 ayant appartenu à Isaac Stern, instrument qui donne à sa sonorité un grain corsé et une ampleur qu’on lui a rarement connu jusqu’à maintenant. En bénéficie une page laissée de côté par la plupart des virtuoses, Rêverie et Caprice op.8, qu’Hector Berlioz aurait écrite vers 1840 après la chute de son Benvenuto Cellini à l’Opéra en utilisant l’air de Teresa, « Ah que l’amour une fois dans le cœur », écarté de la version finale. Renaud Capuçon en développe le cantabile avec générosité, tout en tirant l’expressivité des doubles cordes et en alanguissant les fins de phrase. Puis il s’attaque à la redoutable Tzigane de Ravel dont il aborde l’épineuse cadenza initiale dans un coloris sombre émoussant les traits en arêtes par des sons harmoniques presque irréels. Puis l’Allegro prend un caractère décidé qui tournera à une sauvagerie qu’amplifiera le canevas orchestral, avant de conclure par une stretta échevelée à couper le souffle du spectateur qui donne ensuite libre cours à son enthousiasme.

Verdi d’anniversaire pour Riccardo Chailly 

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Giuseppe Verdi (1813-1901) : Chœurs extraits de Nabucco, I Lombardi, Ernani, Don Carlo, Macbeth, Il Trovatore, La Forza del Destino, Aida, Simon Boccanegra. Coro e Orchestra del Teatro alla Scala, Riccardo Chailly. 2022. Livret en anglais, français et allemand. Texte chanté en italien, traduction en anglais. 65’02’’.  Decca 4853950.

Voyage magique à l’orgue, par un duo allemand

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Magic Music Box. Maurice Ravel (1875-1937) : Les Entretiens de la Belle et la Bête ; Le Jardin féérique [Ma Mère l’Oye]. Paul Dukas (1865-1935) : L’Apprenti sorcier. Edward Elgar (1857-1934) : Fairies and Giants ; The Tame Bear [The Wand of Youth]. Igor Stravinsky (1882-1971) : Le Jardin enchanté de Kachtcheï ; Apparition de l’Oiseau de feu, poursuivi par Ivan Tsarévitch ; Danse de l’Oiseau de feu ; Ronde des Princesses ; Berceuse ; Réveil de Kastcheï ; Mort de Kachtcheï ; Profondes ténèbres ; Disparition du palais et des sortilèges de Kachtcheï, animation des chevaliers pétrifiés, allégresse générale [L’Oiseau de feu]. Franz Danksagmüller (*1969) : Kalliope – Magic Music Box. Marion Krall, Lars Schwarze, orgue. Livret en anglais et allemand. Septembre 2021. TT 68’09. Genuin 22799