Penderecki dirige Penderecki

par

Krzysztof Penderecki
(° 1933)
L'intégrale des Symphonies
I. Hossa (sop.), I. Klosinska (soprano), A. Rehlis (alto), R. Bartminski (ténor), W. Gierlach (basse), Th. E. Bauer (baryton), S. Holland (récitant), The Polish Sinfonia Iuventus Orchestra, dir.: Krzysztof Penderecki.
2013-DDD-5 CD- Textes de présentation et textes chantés en polonais et en anglais-Dux 0947

Les cinq CD étaient parus séparément en 2012. En cette année anniversaire, le label polonais propose une édition spéciale, un coffret regroupant les symphonies 1 à 8 de Penderecki, en réalité au nombre de 7 dans la mesure où la 6e Symphonie reste inachevée. Comme on est toujours mieux servi par soi-même et que Penderecki manie aussi bien le bâton que la plume, c'est lui-même qui dirige le Polish Sinfonia Iuventus, un orchestre fondé le 1er octobre 2007 à l'initiative de Jerzy Semkov; il réunit les meilleurs musiciens des académies du pays âgés de moins de 30 ans. Comme c'est souvent le cas, jeunesse musicienne signifie souvent enthousiasme, énergie, vigueur, implication; aussi ne les prendrons-nous jamais en défaut tout au long de ces heures de musique. La gestique toujours très précise et dynamisante du chef en tire le meilleur, nous n'en doutons pas. Ecouter l'ensemble des symphonies de Penderecki, c'est l'accompagner tout au long de sa vie créatrice, de la synthèse de ses acquis de musicien d'avant-garde au musicien philosophe pour qui la nature se fait métaphore de la musique. Comme on peut le lire dans l'interview qu'il nous accordait il y a peu (sur ce site), la deuxième nature du compositeur est intimement liée à la nature dont le développement adopte un parcours semblable à celui de la composition. L'arboretum qu'il a créé et avec lequel il est en symbiose en est la concrétude.
Penderecki avait 40 ans lorsqu'il pensa à une première symphonie, soit 14 ans après ses premiers gestes créateurs qui virent naître Strophes pour soprano, récitant et dix instruments, Anaklasis pour cordes et percussions et Emanationem pour deux orchestres et cordes dans la mouvance de l'avant-garde à laquelle il renoncera peu de temps après, considérant qu'elle menait à une impasse, ce que d'ailleurs lui ont vivement reproché les disciples d'un chimérique progrès en art. Penderecki rechercha la liberté, sa liberté. Avant de passer à l'acte, il entreprit sa Première Symphonie, sorte de synthèse des procédés orchestraux utilisés dans ses oeuvres antérieures : répétitions de sons et glissandi, contrastes rythmiques, sonores, d'intensité et de formules, expérimentations instrumentales, micro-intervalles,... une grande arche de 71 parties instrumentales dont 46 cordes, divisées en quatre mouvements. La Deuxième Symphonie fut composée six ans plus tard et annonce le style qu'adoptera dorénavant le compositeur qui, ici, réhabilite la mélodie, la tonalité, la beauté du son, dans un post-romantisme inspiré de Wagner, Bruckner, Mahler, Chostakovitch,... une oeuvre d'une gravité sans rémission, en un seul mouvement réunissant en son sein les quatre d'une forme sonate, tout en rapport avec le climat de révolte, de triomphe, de défaite et de résignation que connaissait la Pologne autour des années 1980. La Troisième Symphonie fut commencée en 1988 (Passaglia et Allegro créés au Festival de Lucerne sous le titre de Passaglia) et terminée en 1995 (les quatre autres mouvements créés au Festival de Munich pour lequel la Symphonie était composée). Ici s'impose totalement le changement de style du compositeur dans sa volonté de créer une oeuvre organiquement cohérente portée par une grande force dramatique. Cinq mouvements contrastés à propos desquels le musicologue Mieczyslaw Tomaszewski écrit: "il a ressenti le besoin de se libérer d'un style dans lequel il s'était enlisé et dans lequel il se sentait trop à l'aise". Les quatrième et cinquième symphonies résultent de commandes très académiques et témoignent du succès planétaire de l'oeuvre du compositeur polonais puisque la Quatrième Symphonie (1989) était destinée à fêter le bicentenaire de la révolution française et fut créée par l'Orchestre National de France sous le direction de Lorin Maazel  et la Cinquième célébrait le 50e anniversaire de la libération de la Corée de l'occupation japonaise. Ces deux symphonies, oeuvres de maturité, sont les dernières purement instrumentales du compositeur et le dernier mouvement de la 5e a des accents de Sacre du Printemps. Comme dit plus haut, la Sixième Symphonie constituera la "Pastorale" du corpus d'un compositeur de plus en plus en symbiose avec la nature. On l'attend... C'est en janvier 1997, dans le cadre du MIDEM (Cannes), que fut créée la Septième Symphonie, plus connue sous le nom des Sept Portes de Jerusalem, célébrant le 3000e anniversaire de la fondation de la Cité céleste. "Une vision chrétienne de l'Ancien Testament" dont le Livre de Daniel, sur lequel l'oeuvre prend appui, constitue un équivalent de l'Apocalypse dans l'Ancien Testament. Sept portes selon la tradition cabbalistique, les sept jours de la création, les sept trompettes, les sept églises de l'Apocalypse... et donc 7 mouvements, le thème de 7 notes de la Passaglia, les 7 répétitions de l'accord de Mi Majeur dans le Finale... l'oeuvre est truffée de symboles. La porte, une porte entre deux mondes, celui sombre et grave de la mort et celui de la vision de la gloire de Dieu. Une oeuvre forte portée par cinq voix solistes, récitant, trois choeurs et orchestre où le "Lauda Jerusalem" n'est pas sans rappeler les Carmina Burana, augmentés de la "patte" du compositeur polonais. La réflexion philosophique et religieuse a de tous temps accompagné celui qui hésitait à compléter sa 6e Symphonie ou à s'atteler à un nouvel ouvrage. C'est cette dernière proposition qu'il retint: une oeuvre inspirée de la nature intimement liée à l'esprit, métaphore de la tradition liée au présent, l'arbre métaphore de l'existence humaine, du développement musical. La Huitième Symphonie intitulée "Chants de l'Ephémère" comportait neuf mouvements en 2005, année de sa création et douze mouvements deux années plus tard. Ecrite pour soprano, mezzo, baryton, choeur mixte et orchestre, elle se déploie comme un arbre à douze branches portant treize textes de poètes allemands du romantisme et du début de XXe siècle: Rilke, Eichendorff, Brecht, Hesse, Goethe, von Arnim, Kraus. Une symbiose, une exploration de la nature dans son creuset.
Si le voyage au sein des symphonies de Penderecki ne nous porte pas aux confins de l'abstraction musicale, il nous questionne sur l'essence de la musique et de la vie. N'est-ce pas là l'essentiel?
Bernadette Beyne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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