Le Festival Rossini de Pesaro 2013

par

© Studio Amati Bacciardi

Pour sa 34e édition, le Rossini Festival de Pesaro affichait de nouvelles réalisations de « L’Italiana in Algeri » et « Guillaume Tell », une reprise de la production de « L’occasione fa il ladro » signée Jean-Pierre Ponnelle, une version de concert de « La donna del lago » et les représentations déjà traditionnelles de « Il viaggio a Reims » par les jeunes artistes de l’Accademia Rossiniana ». Comme d’habitude il y avait aussi quelques concerts de belcanto, pas seulement réservés à la musique de Rossini par les ténors Michael Spyres, Celso Albelo en Yijie Shi, un « Omaggio a Verdi » par la soprano Marina Rebeka et des soirées dédiées aux « Péchés de vieillesse » de Rossini par le pianiste Bruno Canino.
La production la plus attendue était bien sur « Guillaume Tell » l’ultime chef-d’œuvre de Rossini qui n’avait plus été à l’affiche de Pesaro depuis 18 ans et cela dans la version originale française dans une édition critique de la Fondazione Rossini par M. Elizabeth C. Bartlet. Si finalement nous n’avons peut -être pas entendu toutes les notes de la partition immense de Rossini, c’est en tout cas une version très complète que Pesaro a présentée, ballets compris, plus de quatre heures de musique. Et cette musique était admirablement défendue par l’orchestre du Teatro Communale di Bologna dirigé par Michele Mariotti. Ce jeune chef d’orchestre est bien le fils du ‘Sovrintendente’ du festival mais aussi le directeur musical de l’opéra de Bologne et un des talents majeurs de sa génération. Donc pas de népotisme gênant mais un juste choix pour donner toute son envergure à cette partition dans une exécution précise mais inspirée et envolée avec de belles pages lyriques et des moments de tension dramatique intense pour aboutir à cette finale grandiose et émouvante. Du très beau travail aussi par les chœurs du Communale di Bologna qui ne quittent presque pas la scène et sont un atout majeur de cet opéra choral. Et cela pas seulement sur le plan musical car ils jouent aussi un rôle très important dans la lecture de Graham Vick.
Le metteur en scène anglais veut en effet donner une dimension universelle à ‘Guillaume Tell’ et fait de la révolte des Suisses contre la domination des Autrichiens, la lutte des paysans et travailleurs contre leurs oppresseurs. Le rideau de scène montre un poing fermé, Tell et les conjurés brandissent des foulards rouges et plusieurs scènes font penser aux images du film ‘Novecento’ de Bertolucci. C’est clair, pour Vick ce n’est pas Tell qui est le protagoniste mais le peuple. Cette idée est défendable mais la façon dont Vick la visualise dans le décor de murs blancs de Paul Brown n’est pas toujours convaincante. Je dois avouer que je ne comprends pas ce que viennent faire ces caméras de cinéma, ni les chevaux empaillés sur un fond de cimes enneigées quand Mathilde nous parle de « sombre forêt », ni l’uniforme de militaire autrichien porté par Arnold qui semble s’évanouir quand il a embrassé Mathilde. Et quelle idée de projeter un film d’un père et son fils quand Arnold chante son grand air « Asile héréditaire » et ainsi reléguer le chanteur au second plan ! Excellent par contre la façon dont Vick et son chorégraphe Ron Howell ont intégré les ballets dans l’action dramatique grâce à un langage contemporain pas toujours très esthétique mais efficace.
On attendait beaucoup du premier Arnold de Juan Diego Florez, l’enfant chéri du festival où il fut découvert en 1996. Il a obtenu un triomphe mais il est clair qu’il ne se sent pas encore tout à fait à son aise dans cette tessiture exigeante qui lui fait pousser la voix. Bien sûr, on put de nouveau admirer son style et son expressivité mais la mise en scène ne l’aidant pas vraiment, il ne savait pas faire grand-chose du personnage. Marina Rebeka était une Mathilde élégante et expressive à la voix pas toujours assez ample ou très souple. Malgré son physique impressionnant, Nicola Alaimo manquait de stature pour camper un Tell convaincant et de mordant dans sa voix de baryton assez lyrique. Amanda Forsythe était excellente comme Jemmy, le fils de Tell, à qui on avait redonné son grand air du troisième acte, juste avant le « Sois immobile » de son père. Luca Tittoto campait un Gessler hautain, cruel et sadique à souhait. Veronica Simeoni donnait à Hedwige émotion et une voix chaude. Celso Albelo était une Ruodi de luxe. Bonne prestations aussi de Simon Orfila (Walter Fürst) et Simone Alberghini (Melcthal).
Si j’avais des réserves à formuler à propos de la mise en scène de « Guillaume Tell » je ne trouve rien à dire de positif à propos de la nouvelle production de « L’Italiana in Algeri ». Pour sa mise en scène de « Ciro in Babilonia » l’an dernier, Davide Livermore avait trouvé une formule originelle qui, de plus, donnait pleinement l’occasion aux chanteurs de défendre leurs personnages. Rien de cela dans l’Italiana, un spectacle gratuit, souvent vulgaire et irritant où les effets visuels et les gags abondent au détriment d’une direction d’acteurs inspirée par la partition et des personnages plus ou moins crédibles. Décor de Nicolas Bovey, vidéo D-Wok, costumes de Gianluca Falaschi. Cela commence déjà dès la première note de l’ouverture qui nous raconte en forme de dessin animé comment Mustafa a fait fortune dans le pétrole. Dans son palais il règne en vrai despote, entouré de créatures insipides qui ne cessent de se tortiller. Puis arrive Isabella qui survit à un crash d’avion et se présente vite sous différents aspects, aussi bien voyageuse courageuse, que séductrice orientale ou femme d’action. Comme le reste de la distribution elle est emportée dans le mouvement scénique incessant et fatigant, changeant souvent de costume mais sans parvenir vraiment à donner substance à son personnage. Ce n’est pas la faute d’Anna Goryachova qui s’investit complètement mais se perd dans la surabondance scénique et manque de projection vocale. Alex Esposito à la voix sonnante campe un Mustafa macho à souhait consommant tout le temps des pilules. Yijie Shi est un Lindoro gentil et vocalement agréable quoi que assez modeste. Mario Cassi donne du caractère à Taddeo et fait sonner son baryton chaud et Mariangela Sicilia prête à Elvira son soprano puissant. Je ne sais pas si le chef d’orchestre espagnol José Ramon Encinar était troublé par le délire scénique mais sa direction musicale, à la tête de l’excellent orchestre du Teatro Communale di Bologna, était très décevante, manquant de précision, de rythme, de cohésion, d’élan et d’esprit rossinien.

« L’occasione fa il ladro » est une « burletta », une farce en un acte que Rossini composa quand il avait vingt ans. C’est une œuvre sans prétention qui dure environ une heure trente et qui nous présente une histoire assez invraisemblable de mariage arrangé et de confusion d’identités. Mais la musique est agréable et vivante et le talent du jeune Rossini évident. Pas de nouvelle production cette fois, mais la reprise d’une réalisation de 1987 du grand metteur en scène et scénographe français qui mourut peu de temps après. Datée? Sans doute mais admirable quand même par son originalité à l’époque. Puisque l’échange d’une valise joue un rôle important dans l’histoire, Ponnelle fait quasiment surgir tout le spectacle d’une valise : chanteurs, meubles et machinistes qui manient les toiles peintes qui forment les décors. Le résultat : un ensemble convaincant avec une direction d’acteurs qui pourrait être plus fouillée et vivante. Mais Ponnelle n’était plus là pour les inspirer. La distribution réunissait les voix fraîches des sopranos Elena Tsallagova et Viktoria Yarovaya et du ténor Enea Scala avec l’expérience et le panache vocal de Roberto De Candia et Paolo Bordogna. Dans la fosse se trouvait l’Orchestra Sinfonica G. Rossini dirigé avec autorité par YI-Chen Lin, jeune chef d’orchestre féminin originaire de Taiwan qui s’était déjà fait remarquer en 2011 en dirigeant « Il viaggio a Reims » et qui tenait le spectacle bien en main et lui donnait l’élan nécessaire.
Cette année c’était un autre jeune chef qui conduisait avec verve un nouvel ensemble de chanteurs de l’Accademia Rossiniana vers Reims : l’australien Daniel Smith. Un nom à retenir.
Erna Metdepenninghen
Pesaro, Rossini Festival, du 10 au 13 août 2013

Récital du ténor Michael Spyres (Auditorium Pedrotti, 15 août) et le spectacle des jeunes espoirs, "Il Viaggio a Reims" (Teatro Rossini, 16 août)
Durant le festival, ont lieu, à l’Auditorium Pedrotti, deux ou trois récitals de chant avec piano : accompagné au pied levé par le pianiste Giulio Zappa, le ténor Michael Spyres a donné un programme intéressant. Précédé de la réputation que lui ont valu son Masaniello de ‘La Muette de Portici’ à Paris et son Baldassare de ‘Ciro in Babilonia’ à Pesaro, le chanteur livre deux pages d’Alessandro Stradella et d’Alessandro Scarlatti avant de s’attaquer avec maestria à une aria hérissée de difficultés extraite de l’ ‘Antigono’ d’Antonio Maria Mazzoni (joué à Lisbonne durant l’automne de 1755). Par contre, le premier air de Ferrando de ‘Così fan tutte’ ou celui de Dorvil de ‘La Scala di seta’ le laissent distant, la ‘scena’ du Duc de Mantoue de ’Rigoletto’ outrepasse ses moyens actuels, alors que la cavatina d’entrée d’Otello raniment la flamme virtuose qui sous-tendra le phrasé de l’air de George Brown de ‘La Dame blanche’, sommet du programme.
Quant à la production d’Emilio Sagi pour ‘Il Viaggio a Reims’, elle sert, depuis 2001, à faire valoir les jeunes artistes choisis par Alberto Zedda lors de l’Académie d’été. Avec le jeune chef australien Daniel Smith à la tête de l’Orchestra Sinfonica G.Rossini, la partition trouve un souffle constant. Et lors de la seconde présentation du 16 août, se sont illustrés les soprani Damiana Mizzi (Corinna) et Valentina Teresa Mastrangelo (Madama Cortese), le ténor Dempsey C’Rivera (il Cavaliere Belfiore) et la basse Sergio Vitale (Don Profondo).
Paul-André Demierre
Pesaro, Festival Rossini, les 15 et 16 août 2013

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