Pires et Harding, un couple mal assorti

par

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Concertos pour piano nos 3 et 4
Maria-Joao Pires (piano), Orchestre symphonique de la Radio suédoise, dir.: Daniel Harding
2014-DDD-71’30”-Textes de presentation en français, anglais, allemand – Onyx 4125

Aussi incroyable que cela paraisse, la grande Maria Joao Pires vient de passer le cap des soixante-dix ans. L’évènement est marqué par un changement d’écurie discographique et, sauf erreur de ma part, un tout premier disque consacré à deux concertos pour piano de Beethoven, les Troisième et Quatrième qu’elle interprète accompagnée par l’Orchestre symphonique de la Radio suédoise dirigé par Daniel Harding.
Plutôt que de présenter une fois encore ces œuvres si connues et si souvent enregistrées, le texte d’accompagnement du cd offre une réflexion de la pianiste portugaise où elle revient sur l’éternel dilemme qui s’offre à l’interprète : « faire preuve de personnalité » ou être « vertueux », c’est-à-dire s’en tenir à une lecture la plus strictement fidèle possible à la lettre de la partition. Plutôt qu’un impossible moyen terme, Pires suggère que « par-delà les siècles et les frontières, compositeur et interprète s‘"entre-prêtent l’oreille".
Dans les faits, la nature profonde de la musicalité si pure, subtile et honnête de Maria Joao Pires, son refus de laisser sa personnalité faire écran à la pensée des compositeurs qu’elle sert si bien et si profondément, l’amènent de fait à faire partie de l’école des « vertueux », ce que personne ne songera à lui reprocher. Et c’est dans le Troisième concerto que cette approche porte le plus ses fruits. Dès l’Allegro con brio initial, l’artiste charme par un son transparent et léger, une articulation soignée, des ornements joliment détaillés (trilles et gruppetti sans lourdeur). La simplicité et la fraîcheur de son interprétation ainsi que son refus de tirer la couverture à elle enchantent, même si elle n’hésite pas à opter pour une sonorité plus musclée dans la cadence. Le problème (qui se fera sentir tout au long de cet enregistrement) est qu’elle n’a pas, avec Harding, un partenaire qui partage cette approche de simplicité et de naturel poétique. Dès la longue introduction orchestrale, le chef anglais opte pour une approche à la serpe, influencée -de toute évidence- par les acquis de la pratique historique : cordes très sèches (peu ou pas de vibrato), phrasés au cordeau, timbales guerrières. S’il mène les cordes à la baguette, il accorde plus de libertés aux vents, les bois se distinguant souvent par de beaux phrasés. Pires offre du Largo une interprétation véritablement prenante et d’une belle longueur de souffle, où l’on reconnaît les vertus de cette grande mozartienne et schubertienne. Le Rondo final laisse un peu perplexe : le parti pris de sobriété et de littéralisme des interprètes ne laisse étonnamment que très peu de place à l’espièglerie et au caractère enjoué de la partition (que d’autres interprètes –Kovacevich, Kempff, Serkin- ont si bien mise en évidence). On a déjà connu soliste plus souriante et orchestre plus chantant.
Dans le Quatrième concerto, Harding semble dans un premier temps avoir changé son fusil d’épaule, avec un orchestre plus ductil et souple, et une interprétation beaucoup plus convaincante. Quant à Pires, elle fait preuve d’une grande finesse et d’une intelligence sans cesse en éveil, même si l’on se prend de temps à penser que cette œuvre réclame un piano non seulement poétique mais aussi épique. Hélas, le merveilleux dialogue orchestre-piano de l’Andante con moto voit Harding retomber dans ses défauts, avec des cordes sèches, baroquisantes et sans aucun lustre. Pires, elle, imperturbable, déploie de très beaux moments de poésie, même si on souhaiterait par moments un son un peu plus charnu.
Le Rondo final voit les interprètes se montrer à la hauteur de la partition, Harding alternant le bon (quelques fines interventions des cordes) et le moins bon (tutti belliqueux). Quant à la pianiste, elle confirme l’impression que, dans cette œuvre, sa phénoménale musicalité gagnerait à disposer d’un surcroît de puissance, sa sonorité manquant parfois de la profondeur qu’exige l’œuvre (même s’il serait très malvenu de reprocher à Mme Pires de ne pas être une montagne de muscles).
Patrice Lieberman

Son 8 - Livret 8 - Répertoire 8 - Interprétation soliste 8 - chef 6

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