Plutôt Lully que Rameau

par

Pancrace ROYER (1703-1755)
Pyrrhus

A. Buet (Pyrrhus), J. Thomson (Acamas), E. de Negri (Polyxène), G. Laurens (Eriphile), solistes, Les Enfants d'Apollon, dir.: Michael GREENBERG
Live-2013-DDD-78'04'' et 64'02''-chanté en français-notice en français et en anglais-Outhere Music Alpha 953
Contemporain de Rameau, Pancrace Royer est surtout connu pour ses virtuoses pièces de clavecin. Véronique Gens, dans son album "Tragédiennes I" avait enregistré deux extraits d’œuvres vocales, plus légères. Voici une tragédie lyrique complète, sa seule tentative dans le genre. Elle s'inscrit tout à fait dans la tradition de Lully, et n'annonce pas du tout l’évolution ramiste, alors qu'elle ne précède que de trois ans la création d'Hippolyte et Aricie. Créé en 1730, à l'Académie Royale de Musique, l'opéra ne connut que sept représentations et ne fut jamais repris. Il s'agit donc d'une véritable recréation qu'opèrent le chef Michael Greenberg, la claveciniste Lisa Goode Crawford et leur équipe, enregistrée en septembre 2012 dans la Salle des Croisades du Château de Versailles, avec le soutien du Centre de Musique Baroque de Versailles. Le livret de M. Fermelhuis s'inspire des aventures de Pyrrhus, fils d'Achille, et de Polyxène, fille de Priam, sujet entre autres du dernier opéra (inachevé) de Lully. Composé bien après la mort de l'illustre surintendant de Louis XIV, Pyrrhus peine à s'arracher de l'ombre du Maître défunt. Prologue, cinq actes, récitatifs dramatiques, danses et divertissements, tout s'inscrit dans la structure de la tragédie lyrique sans vouloir la modifier. Qu'à cela ne tienne, l'oeuvre est belle et retient l'attention. Le prologue, par exemple, page de circonstance pourtant, est bien enlevé : il nous fait assister à la curieuse dispute entre Mars et Minerve, arbitrée par Jupiter : trop de paix, vive la guerre ! Les cinq actes se déroulent sous le mode conventionnel, avec sa succession de (très) nombreux récitatifs, d'airs classiques et de duos amoureux ou de fureur. Parmi les meilleures pages de la partition, citons la marche et la scène de Pyrrhus avec choeurs "Chantez ses exploits", un peu haendelienne, la lugubre intervention de l'ombre d'Achille, le finale de l'acte III où la rivale Eriphile invoque les terrifiantes Euménides infernales, la jolie scène chorale de Thétis "A nos doux charmes tout rend les armes" et enfin la douloureuse mort de Polyxène qui clôture l'opéra par une extrême sobriété. Interprétant l'oeuvre pour la première fois depuis 1730, les chanteurs semblent impressionnés et ne se livrent pas toujours totalement, hormis l'Acamas un rien maniéré de Jeffrey Thomson. C'est le cas d'Alain Buet, par exemple, assez distant, ou de la Polyxène d'Emmanuelle de Negri. Guillemette Laurens, elle, tout à son personnage vengeur, brûle les planches. Mentions spéciales à Christophe Gautier, fort altier Jupiter du prologue, à la pure Thétis de Nicole Dubrovitch et à la mignonne petite nymphe de Sophie Decaudaveine. Michael Greenberg mène allègrement les choeurs et les Enfants d'Apollon. Une redécouverte à coup sûr, qui nous permet de mieux cerner encore la situation de la musique à la cour de France, juste avant l'arrivée de Rameau.
Bruno Peeters

Son 10 - Livret 8 - Répertoire 8 - Interprétation 9

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