Poésie et raffinement

par
Fauré Cassard

Gabriel FAURE
(1845 - 1924)
Ballade pour piano et orchestre opus 19-Pelléas et Mélisande opus 80- Pénélope (prélude)-Fantaisie pour piano et orchestre opus 111 (orchestration Samuel-Rousseau)-Nocturnes n° 2 opus 33, n° 4 opus 36 et n° 11 opus 104
Philippe CASSARD (piano), Orchestre National de Lorraine, dir.: Jacques MERCIER
2017-DDD-68'39-Textes de présentation en français, anglais, japonais et allemand-La Dolce Volta LDV 32

Riche idée que ce programme qui propose quelques-unes des pages les plus lyriques et poétiques du grand Gabriel Fauré, un compositeur que l'on réduit trop souvent à son Requiem et que l'on juge parfois un peu inaccessible dans sa production de chambre, une grande partie de son oeuvre pianistique et certaines de ses partitions pour la scène, sublimes mais exigeantes. La plupart des pièces proposées ici comptent au nombre des plus abordables, à commencer par la Ballade pour piano et orchestre opus 19 à la mélodie si séduisante avec son style « art nouveau » et dont on s'étonne qu'elle n'ait pas encore servi de bande-son pour un film. Jacques Mercier, grand spécialiste de la musique française que Sony vient de remettre à l'honneur en rééditant dix disques gravés pour le label japonais et rassemblés en un petit coffret économique, dirige la partie orchestrale avec tendresse et délicatesse. Philippe Cassard, quant à lui, trouve d'emblée le ton adéquat, le climat tout en nuances mais sans affect que nécessite cet art si personnel et précieux. Cette affinité se confirme dans les trois merveilleux nocturnes qu'il nous propose ensuite. Le charme des 2ème et 4ème contraste avec les dissonances inquiétantes, la tonalité sombre et hésitante du 11ème, l'une des pièces les plus abouties de Fauré. S'il ne fait pas oublier Germaine Thyssens-Valentin, Jean Hubeau ou Paul Crossley, entre autres, dans leurs intégrales, ou Samson François dans le 2ème, ou encore Madeleine de Valmalète, Albert Ferber et Marguerite Long, voire Walter Gieseking, par exemple, dans le 4ème, Cassard séduit pourtant sans effort par son jeu à la fois subtil et juste, en particulier dans le fameux opus 104 dont il assimile les mille finesses dans toute leur profondeur. La suite Pelléas et Mélisande, présentée ici dans sa version orchestrale en quatre mouvements, est une guirlande de pages d'un raffinement, d'une élégance inouïs, dont la légèreté de l'orchestration confine à la magie et dont l'invention mélodique continue de surprendre, plus de 115 ans après sa composition; une splendeur déjà magnifiée au disque par les baguettes brillantes des Münch (par trois fois au moins), Paray, Inghelbrecht, Ansermet, Sébastian, Fournet, Plasson, Baudo, Jordan, Barbirolli, Marriner, Zinman, Koussevitzky, pour ne rester que dans le « haut du panier ». Pénélope est un opéra qui reste mal-aimé malgré ceux qui se sont faits les ambassadeurs inlassables de cette musique à la fois étrange, inquiète, sombre, nihiliste, pessimiste. Et quels ambassadeurs! Le chef Désiré-Emile Inghelbrecht, qu'on a capté heureusement par deux fois dans cet ouvrage, en a été incontestablement le plus fervent défenseur, soutenu par l'immense talent de Régine Crespin et, avant elle, de Berthe Monmart dans le rôle-titre, ainsi que par la grande classe des Raoul Jobin et George Jouatte. On trouve aussi le très racé Jean Fournet, une fois encore avec Crespin, laquelle donne cette fois la réplique à Guy Chauvet. Plus près de nous, et mieux enregistré, Charles Dutoit pouvait s'offrir, via Erato, Jessye Norman et Alain Vanzo, vaillants et proches de la perfection. Le prélude, aristocratique mais intense, qui expose les thèmes principaux de l'ouvrage, nous est offert fort à propos: tout un drame en quelques minutes, ciselé avec une quasi dévotion par Jacques Mercier. Le disque se ferme sur l'une des pages majeures de la grande maturité du maître: la Fantaisie opus 111, dédiée à Alfred Cortot, écrite à l'origine dans sa version pour deux pianos. Fauré la destinait au piano accompagné de l'orchestre mais sa surdité croissante l'obligera à en confier l'instrumentation à Marcel Samuel-Rousseau. Oeuvre emblématique du charme mais aussi de la rigueur, de l'élégance et de la spiritualité propres aux compositeurs hexagonaux au tournant du 20ème siècle, elle résume à elle seule la fascination intacte que suscite de nos jours l'art de l'une des plus nobles figures de la musique française.
Bernard Postiau

Son 9 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 10

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