Pour un Poème divin très réussi

par

Alexandre SCRIABINE (1872-1915)
Symphonie n°3 "Le poème divin" - Symphonie n°4 "Le poème de l'extase"
London Symphony Orchestra, dir.: Valery GERGIEV
Live - 2015-SACD-64' 58''-Textes de présentation en anglais, français et allemand-LSO SACD LSO0771

Véhicules parfaits pour démontrer la rutilance d'un orchestre, les oeuvres orchestrales de Scriabine ont toujours fasciné, par la luxuriance de leur écriture et leur symbolisme exalté. Il n'est donc pas étonnant que la discographie soit étoffée. A peine les symphonies 1 & 4 venaient-elles de sortir sous la baguette de Mikhail Pletnev (Pentatone, CD commenté ici-même), que voici les n° 3 & 4, sous les mains de Valery Gergiev, cette fois. En 2001 déjà, mais en studio, le chef ossète avait enregistré le Poème de l'extase (1907) avec son orchestre du Kirov/Théâtre Mariinsky, couplé avec une surprenante vision du Sacre du printemps. Son Scriabine d'alors était clair, détaillé, exposant bien les différents motifs et soulignant cette écriture en paliers si typique du compositeur. Il faut avouer que, 14 ans plus tard, Gergiev ne réitère pas cette réussite exceptionnelle. Est-il cette fois pressé d'en finir ? On le sent moins engagé, presque indifférent. Même sa trompette solo hésite parfois. L'approche est pourtant délicate, plus chambriste, et les bois, remarquables, se distinguent à plus d'une reprise. Mais la tension retombe trop souvent, même lors de la péroraison, bien plus carillonnante en 2001. La prise de son, un peu sourde, y est elle pour quelque chose aussi (enregistrement au Barbican, de Londres). Heureusement, les choses s'arrangent avec le Poème divin (1905). Symphonie à l'orchestre immense, ses trois mouvements enchaînés font plutôt penser à un poème symphonique dans la descendance lisztienne. L'écriture est déjà entièrement personnelle, malgré quelques influences wagnériennes. Pour la première fois, à l'orchestre du moins, Scriabine utilise cette technique de "mouvements spasmodiquement ascendants", comme le décrit si bien André Lischke. Gergiev le sent et relie l'oeuvre aux deux précédentes symphonies tout en anticipant celles à venir. Evitant le piège de la fragmentation dans une page aussi longue (45'), il porte l'ensemble avec la grandeur et le souffle requis, tout en soulignant l'exceptionnel coloris orchestral. Le second mouvement, "Voluptés" est particulièrement réussi, avec ses multiples interventions de harpe, de clarinette et de hautbois, créant un concert d'oiseaux du plus bel effet, qui évoque celui de la troisième symphonie de Glière, bien plus tardive (1911), plus épique que symboliste. Le "Jeu divin" conclusif est bien ressenti et la partition se termine avec une vitalité de plus en plus excitante, pour aboutir à l'extase sereine d'un accord parfait longuement attendu. Un CD à demi réussi : on ne peut être parfait dans tout.
Bruno Peeters

Son 8 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 10 (3ème) et 7 (4ème)

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