Prélude à une tournée en Amérique du Sud

par

L’Orchestre de la Suisse Romande entreprend parfois des tournées à l’étranger : ce sera le cas lors de la première quinzaine de mai où la formation se rendra en Amérique du Sud pour se produire notamment à Rio de Janeiro et à Buenos Aires. Par anticipation, les deux programmes choisis pour cette circonstance ont été présentés à Genève il y a quelques jours.

Sous la direction de Jonathan Nott, le premier inclut Debussy, Ravel et Brahms. Ebauché dans une extrême lenteur, le Prélude à l’Après-midi d’un Faune devient une incantation ployant sous la langueur que transpercera le hautbois pour corser le propos. En s’attardant sur la portée expressive des timbres, le discours finira par se désarticuler, alors que la flûte effleurera quatre notes en points d’interrogation.
Paraît ensuite le remarquable pianiste argentin Nelson Goerner qui s’attaque au Concerto en sol majeur de Maurice Ravel. Avec la complicité du chef, il use d’un tempo extrêmement rapide pour le plonger dans un fauvisme parfois agressif où chaque trait prend une consistance expressive. A l’inverse, l’Adagio n’est qu’un cantabile retenu, ourlé de larmes éparses, tandis que le Presto tient du divertissement brillant, zébré de traits à l’arraché. En bis, le soliste propose un opus posthume de Chopin, son Nocturne en ut dièse mineur, nimbé d’une coloratura délicate qui en dégage la spécificité.
Et le concert s’achève par la Troisième Symphonie en fa majeur op.90 de Johannes Brahms, toute de majestueuse grandeur. Dans un discours qui pourrait être touffu, le chef recherche énergiquement la clarté des lignes pour accentuer les contrastes de coloris. L’Andante est empreint d’une mélancolie profonde que corrodent de douloureuses inflexions, tandis que le Poco allegretto laisse se répandre un chant large aux lignes mélodiques souples. Sous un voile de mystère prend forme le Finale dont les cuivres, chauffés à blanc, clament la dimension tragique ; mais le développement, morcelé par des séquences conflictuelles, finira par retrouver la sérénité dans un choral revivifiant.

Le second concert ne comporte que deux œuvres, mais quelles œuvres ! Est proposée d’abord une page célèbre d’Antonin Dvorak, le Concerto pour violoncelle et orchestre en si mineur op.104 qui a pour soliste Xavier Phillips, l’un des émules français du grand Rostropovitch. Répondant à une introduction pathétique que le cor innerve d’accents déchirants, le solo impose d’emblée une sonorité large qui dessine ardemment chaque thème en passant de la mélancolie la plus sombre à la fougue la plus généreuse. Puis comme une voix aux mélismes émouvants, il chante l’Adagio ma non troppo qui est vecteur d’une atavique tristesse. Et le Finale paré d’héroïsme suscite une expressivité poussée à l’extrême où affleurent des rythmes dansants suscités par les traits virtuoses. L’effectif complet de l’Orchestre de la Suisse Romande est ensuite réuni pour rendre justice à l’un des ouvrages mastodontes de Richard Strauss, Ein Heldenleben op.40, que Jonathan Nott dirige par cœur, comme tous ceux qui sont inscrits en ces deux programmes. Il ose la carte du grandiose solennel en cinémascope dont il affine les éclats pour laisser place à une ironie grinçante lorsque se profilent les adversaires redoutables du héros, c’est-à-dire les critiques musicaux. Le violon solo de Svetlin Roussev est ensuite porteur d’une ingénuité primesautière afin d’esquisser le portrait de la compagne du protagoniste avec ses sautes d’humeur ; et tout finira par s’effilocher pour laisser le champ libre au grand lyrisme de la passion. Trois trompettes en coulisse lancent ensuite la charge d’une bataille où petite flûte et cuivres tirent de cinglants projectiles sur les cordes qui, rapidement, prendront le dessus avec l’intention de magnifier les œuvres de paix du musicien-héros égrenant les citations de ses partitions majeures. Et l’épilogue n’est plus qu’un legato rasséréné où le cor solo dialogue avec le violon, alors que s’ouvre un havre de paix.
Paul-André Demierre
Genève, Victoria Hall, les 17 et 18 janvier 2018

Un commentaire

Laisser une réponse à George Dantas Annuler la réponse

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.