Premier enregistrement (d’une réduction pour piano) de la partition intégrale de Mishima depuis 1985 ! So What ?

par

Philip GLASS (né en 1937): « Mishima » (arr. piano). Maki NAMEKAWA, piano. 2018-44’21"-Textes de présentation en anglais et japonais-Orange Mountain Music 0128

C’est en 1984 que Philip Glass composa la bande-son de Mishima, premier film de studio -consacré à l’écrivain japonais controversé Yukio Mishima- auquel il contribua. Glass ne se mit au travail qu’après avoir lu les neuf livres de Mishima alors disponibles en anglais, qui lui firent forte impression. Mishima valut au compositeur, au réalisateur (Paul Schrader) et à l’auteur des costumes (Eiko Ishioka) le prix de la meilleure contribution artistique lors de l’édition 1985 du Festival de Cannes.

Trois fils rouges sous-tendent le film. Pour chacun d’eux, Glass opta pour un alliage instrumental différent. Les sonorités introspectives du quatuor à cordes rehaussent les scènes autobiographiques. Le hara-kiri théâtral du principal protagoniste, dans une base militaire, s’accompagne d’une musique martiale où la caisse claire côtoie un orchestre à cordes. Enfin, quelques scènes fictionnelles inspirées de trois romans de Mishima (Le Pavillon d’or, La Maison de Kyoko et Chevaux échappés) bénéficient d’une musique lyrique pour grand orchestre.

Glass conçut les six pièces consacrées au quatuor à cordes (1957-Award Montage, November 25-Ichigaya, 1934-Grandmother and Kimitake, 1962-Body Building, Blood Oath et Mishima/Closing) comme une œuvre indépendante qui figure dans le catalogue de ses œuvres en tant que Quatuor à cordes n° 3, logiquement affublé du sous-titre « Mishima ». Le Kronos Quartet, qui avait déjà participé à la réalisation de la bande sonore du film, et le Carducci Quartet, pour ne citer qu’eux, nous ont légué deux interprétations soignées de ce quatuor, respectivement en 1995 (Nonesuch 7559-79356-2) et en 2010 (Naxos 8.559 636).

Les huit autres pages que comporte la partition de Mishima, quant à elles, n’ont plus eu les honneurs du disque depuis 1985 ; jusqu’à ce que la pianiste Maki Namekawa passe commande au producteur discographique et fidèle disciple de Glass, Michael Riesman, d’un arrangement pour piano de la banque originale du film.  

Namekawa fait partie des proches de Philip Glass et des plus fervents défenseurs de son œuvre. On doit à son mari, le chef Dennis Russell Davies (également pianiste), d’avoir exécuté et enregistré de très nombreuses pages du compositeur américain, dont ses dix symphonies, le Concerto pour quatuor de saxophones et orchestre et Akhenaten. Namekawa forme avec lui un duo pour lequel Glass composa, notamment, Four Movements for Two Pianos. Elle fut par ailleurs la première pianiste choisie par Glass pour graver, il y a quatre ans, l’intégrale de ses Etudes (Orange Mountain Music OMM 0098). C’est suite au succès de cet enregistrement, qui se issa durant quelque temps au sommet des ventes iTunes Classique, que la pianiste japonaise pria Riesman de lui fournir de nouvelles pièces à se mettre sous les doigts.

L’idée n’avait évidemment rien de saugrenu. Ce n’est un secret pour personne : Glass a la cote ! Un large public s’arrache ses œuvres, en particulier les plus répétitives. Dès lors, pourquoi se priverait-on de réaliser de ses œuvres minimalistes des arrangements qui le sont davantage encore ? Il n’est que la musique du film The Hours, qui réserve une place de choix au piano et dont la beauté remarquable rendait par avance tout arrangement franchement inutile, qui n’ait fait les frais d’un tel acharnement commercial : à peine la bande originale fut-elle réduite pour piano seul que la réduction fut, à son tour, transcrite pour la harpe ! Le tout, comme il fallait s’y attendre, sans réelle valeur ajoutée - au disque, à tout le moins.

Namekawa a beau mettre en exergue le fait que ce disque constitue le tout premier enregistrement de la partition intégrale de Mishima depuis la BOF de 1985, cela ne suffit pas à nous convaincre de son intérêt. On conçoit aisément qu’elle ait pu prendre plaisir à jouer Mishima. De fait, sur le plan technique, l’arrangement de Riesman, ne manque pas de vertus : on le croirait presque sorti de la plume de Philip Glass lui-même. Pour autant, il n’en laisse pas moins l’auditeur perplexe. C’est qu’il supporte assez mal la comparaison avec la version originale de l’œuvre. Sans surprise, la texture des six pièces pour quatuor est bien plus riche que celle de la réduction pour clavier qui manque férocement de relief. Quant aux huit pages complémentaires qui composent la BOF, elles gagnent elles aussi à être écoutées dans leur interprétation originelle, éditée par Nonesuch (7559-79113-2), plutôt que dans la version pianistique monochrome signée Riesman/Namekawa. A moins, bien sûr, que l’on préfère à la palette bigarrée de la partition d’origine les tons pastels d’une simple musique d’ambiance…

Sans doute eût-il été possible, soit dit en passant, de rendre cet arrangement pour piano autrement plus captivant, moyennant un jeu plus coloré et expressif et une prise de son plus lumineuse. Si le label de Philip Glass, Orange Mountain, ne peut paradoxalement se targuer jusqu’à présent d’avoir accueilli les enregistrements les plus soignés des œuvres de l’auteur d’Ernstein on the Beach (les plus beaux disques inscrits à son catalogue sont, en réalité, des rééditions d’enregistrements réalisés par Nonesuch), c’est notamment en raison de la qualité pour le moins perfectible de la prise de son. Celle-ci entache ce disque également. La définition laisse à désirer. Les graves dévorent les aigus, patinés, qui manquent cruellement d’éclat.

On l’aura compris, seuls les inconditionnels de Glass seront ravis d’ajouter ce disque à leur collection. Les autres auront vite fait le choix entre BOF… et bof !

Son 6 – Livret 6 – Répertoire 7 – Interprétation 7

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