Quel chef et quel orchestre !

par
Pappano

Dans le cadre de la série des concerts symphoniques, le Service Culturel Migros a reçu, le jeudi 4 mai, l’Orchestra dell’Accademia di Santa Cecilia di Roma sous la baguette de son directeur musical, sir Antonio Pappano, titulaire depuis 2005.

En début de programme, celui-ci prend la parole et, dans un français fluide, explique ce qu’est le Troisième Caprice op.72 du jeune compositeur vaudois Richard Dubugnon (né à Lausanne en 1968). Ecrite pour l’orchestre et son chef et créée par eux à Rome la semaine dernière, cette pièce rappelle à l’auteur un voyage avec sa mère dans la Ville Eternelle, alors qu’il n’avait que huit ans. Les clochettes à main et un carillon tubulaire évoquent le bruissement d’une ville qui s’éveille, avec un clin d’œil au lever du jour du troisième acte de Tosca. Un motif de quatre notes traversant l’œuvre dessine le sigle antique S.P.Q.R. (Senatus Populusque Romanus). A l’instar de l’exubérance frénétique qui parcourt les rues, la musique s’anime dans un grondement tonitruant qui nous remémore la dernière section de Bacchus et Ariane d’Albert Roussel ; puis elle se calme, tandis que résonnent au loin les bourdons graves du Vatican que dominera un tutti brillant pimenté d’un brin d’humour.
Intervient ensuite la pianiste chinoise Yuja Wang, interprète du célébrissime Premier Concerto de Tchaikovsky. Après les accords du début, que j’entends pour la première fois de ma vie ‘arpégés’, la jeune artiste révèle une technique époustouflante, notamment dans les passages en octaves, le prestissimo médian de l’Andantino et les sauts du finale, d’une rare précision ; alors que le canevas orchestral s’irise de coloris subtils, la plupart des effets sont calculés, privant les envolées lyriques de leur substance, même si le phrasé acquiert une certaine liquidité au début du mouvement lent. Que manque-t-il à ce jeu, au demeurant, étincelant ? Le cœur, ce que révèlera de manière évidente le premier bis, la Mélodie d’Orphée de Gluck transcrite par Giovanni Sgambati, aussi plate qu’une punaise à genou, et une Marche Turque, boggie woogie style Fazil Say, véritable numéro de cirque sans intérêt.
En écho à la page de Richard Dubugnon dépeignant la Ville Eternelle, Antonio Pappano a la judicieuse idée de présenter à la suite les deux grands poèmes symphoniques d’Ottorino Respighi, Le Fontane di Roma et I Pini di Roma. Depuis les gravures discographiques légendaires d’Arturo Toscanini, l’on n’a pas entendu une telle compréhension d’une orchestration géniale, élaborée dans la classe de Rimsky-Korsakov à Saint-Pétersbourg. En une impalpable lenteur se profilent la Villa Giulia et les troupeaux se désaltérant, alors que, par des fortissimi tranchants, paraissent naïades et tritons dans les éclaboussures d’une bacchanale. A la Fontaine de Trevi, les trompettes annoncent le char de Neptune tiré par les hippocampes, char qui finit par s’éloigner pour laisser place au camaïeu de la Villa Médicis ou l’on s’attarde sur les cloches dans le lointain, les pépiements d’oiseaux, le bruissement des feuilles. Eclatent ensuite les cris d’enfants jouant aux soldats sous les pins de la Villa Borghese, butant sur le mystère qui enveloppe les catacombes où les ombres évanescentes finissent par psalmodier une antienne qui se développe ; la dissiperont les effluves nocturnes au Janicule en un souffle lyrique qui laissera échapper un sourd martèlement précédant la venue d’une légion romaine et ses buccins embrasant la Via Appia. Face à l’enthousiasme tapageur du public, Antonio Pappano livre une Valse triste de Sibelius, envoûtante dans son ineffable langueur et un Finale de l’Ouverture de Guillaume Tell, ahurissant par la précision des traits de cordes. Du délire !
Paul-André Demierre
Genève, Victoria Hall, 4 mai 2017

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