Quel chef et quel orchestre !

par
Fischer

Pour la seconde fois en trois ans, le Service culturel Migros invite, pour une série de cinq concerts en Suisse, l’Orchestre du Festival de Budapest et l’un de ses fondateurs, le chef Ivan Fischer, qui voulait ainsi encourager l’individualité et la créativité de chacun des musiciens au sein de l’ensemble, ce qui le rend plus flexible en donnant l’impression de pouvoir tout jouer.
Et ceci se perçoit dès les mesures d’attaque de la Quatrième Symphonie en la majeur op.90, la célèbre Symphonie Italienne de Mendelssohn : une énergie tonifiante emporte le premier thème des cordes qui demeure pimpant même s’il émane de dix premiers et dix seconds violons ; et l’intelligence du phrasé produit une palette de nuances aussi variées qu’inattendues. Puis sur la sombre pulsation des basses est développé un large cantabile, solennel comme un hymne de pèlerin, qui enveloppera ensuite le scherzo exaltant la sérénité, à peine troublée par un appel de cors suggestif. Et, à coup de traits acérés, crépitera la tarentelle qui prendra rapidement une tournure euphorique.
La seconde partie du programme est consacrée au testament lyrique de Gustav Mahler, Das Lied von der Erde (Le Chant de la Terre), achevé durant l’hiver de 1909 et créé à Munich en novembre 1911 sous la direction de Bruno Walter. Ici, la baguette d’Ivan Fischer fait rutiler le tissu orchestral particulièrement riche. Saisissante apparaît la première séquence, ‘Das Trinklied vom Jammer der Erde’, pesante comme un couplet bachique qui malmènerait n’importe quelle voix de ténor ; mais celle de l’Américain Robert Dean Smith, habitué à camper à la scène Walther von Stolzing, Lonhengrin, Siegmund ou Tristan, ‘passe’ au-dessus de la mêlée par ses éclats claironnants. Avec des accents joyeux, le chanteur dépeindra ensuite le pavillon de porcelaine qui sert de cadre à ‘Von der Jugend’, dont la fragilité est suggérée par le rubato orchestral. Et c’est dans l’ivresse la plus noire qu’il noiera ses peines, s’avérant bien futiles à écouter le violon solo. En réponse à ces trois interventions s’oppose le timbre magnifique du contralto Gerhild Romberger qui entre en syntonie avec le coloris chambriste de ‘Der Einsame im Herbst’ et qui révèle une tristesse extrême sur les mots « Sonne der Lieb willst du nier mehr scheinen ». Son indéniable musicalité se voile de mélancolie alors qu’est évoquée la beauté que piétineront les destriers des jeunes gens. Et la longue séquence ‘Der Abschied’ acquiert progressivement une intensité déchirante alimentée par les soli des bois et du violoncelle, avant de parvenir au paroxysme de l’émotion sur « Die liebe Erde allüberall » et à l’insondable mystère produit par les «Ewig…ewig » réitérés. Médusé pendant de longues secondes, le public retient son souffle pour finalement laisser éclater sa stupéfaction et son enthousiasme !
Paul-André Demierre
Genève, Victoria Hall, le 9 mars 2017

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