Quelle musicienne que Karita Mattila !

par
Karita Mattila

Karita Mattila est une chanteuse que l’on a rarement eu l’occasion d’applaudir au Grand-Théâtre de Genève, si ce n’est pour son incarnation d’Amelia Grimaldi dans un Simone Boccanegra affiché en septembre 1990 et un récital durant la saison 1986-87.
Après plus de seize ans d’absence, c’est donc par la formule d’une soirée consacrée au lied qu’elle nous revient. Aujourd’hui, après trente-cinq ans de carrière, la cinquantaine passée, la voix n’a subi que modérément les outrages du temps, même si un large vibrato entache un timbre devenu guttural. Mais l'aigu a toujours un rayonnement sidérant et l’artiste, une musicalité irréprochable. Et quelle artiste!
A corps perdu, elle se lance dans le cycle des Zigeunerlieder de Brahms, d’autant plus redoutable lorsqu’il est présenté en ouverture de programme. Bénéficiant de l’accompagnement magnifique du pianiste finlandais Ville Matvejeff, elle se laisse emporter par le flot impétueux des deux premiers numéros avant de profiter du rubato du clavier pour contraster son phrasé dans « Wisst ihr, wann mein Kindchen » et « Lieber Gott, du weisst ». Puis elle cultive le suspense narratif dans « Brauner Bursche » et arbore ensuite un sourire badin puis l’émotion de la passion avant de conclure dans l’incandescence de « Rote Abendwolken ».
En une concentration extrême, elle passe ensuite aux Wesendonck Lieder de Richard Wagner. Au contraire de la plupart des interprètes d’aujourd’hui qui se contentent d’aligner des notes, elle produit un véritable legato qui sous-tend un « Engel » rêveur et le pianissimo qui s’insère au milieu de « Stehe still ! ». Même si le haut medium plafonne dans cette anticipation de Tristan qu’est « Im Treibhaus », elle fixe le vide, tout en s’adressant avec véhémence au soleil noir de « Schmerzen » puis en étant pétrifiée par la douleur de « Träume ».
En seconde partie, Karita Mattila s’investit totalement dans les Vier Lieder op.2 d’Alban Berg, osant la voix blanche et les sons fixes pour dépeindre le cauchemar et la fin tragique. Et ses accents sont si bouleversants que le spectateur en reste pantois. En contrepartie, sept des lieder de Richard Strauss exhalent un lyrisme généreux : à fleur de lèvres, sur une seule ligne de souffle, sont développés « Wiegenlied » et « Meinem Kinde », quand « Ach Lieb, ich muss nun scheiden » vous fend le cœur. Et les élans joyeux qui irradiaient « Der Stern » et « Wie sollten wir geheim sie halten » se ternissent avec le flux pathétique qui déferle sur « Allerseelen » et « Cäcilie ». A titre de bis, un clin d’œil gouailleur au Berlin des années trente avec un tango de Friedrich Hollaender, « Eine kleine Sehnsucht ».
Paul-André Demierre
Genève, Opéra des Nations, le 9 mai 2017

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