Rencontre avec Frederic Rzewski

par

La musique de Chopin est facile techniquement
mais il met toujours un passage très difficile
pour éloigner les pianistes médiocres.
F. Rzewski

Jeudi après-midi avait lieu au Conservatoire Royal de Bruxelles une masterclasse avec Frederic Rzewski, le compositeur de l'oeuvre imposée en demi-finale du Concours Reine Elisabeth. La rencontre organisée par le pianiste Stephane Ginsburgh s'est déroulée en deux temps. Quatre étudiants pianistes de conservatoires belges (francophones et néerlandophones) ont joué des oeuvres de Rzewski, Fafchamps et une improvisation. S'en est suivi une conversation conviviale avec le compositeur et le public sur des sujets comme l'improvisation, l'interprétation et le Concours Reine Elisabeth.
Mérylien Bajot a interprété l'oeuvre imposée de la demi-finale du Concours en 2010, Back To The Sound de Jean-Luc Fafchamps. Oeuvre riche en couleurs, nuances et subtilités harmoniques. Rzewski a tenu à rappeler que la musique contemporaine, comme la musique de Beethoven, est une musique de contrastes et de nuances opposées. Un piano doit être différent d'un mezzo-piano. Au piano, il montre ce qu’il ferait quand il lit un fortissimo. constat : cet homme de 75 ans est toujours un excellent pianiste qui sait faire sonner le piano.
Ayant eu la chance de participer à cette masterclasse, j'ai joué pour Rzewski une de ses pièces écrites il y a quelques années, Winsboro Cotton Mill Blues tiré des Four North American Ballads, une pièce basée sur un blues traditionnel américain que Rzewski, présentant la pièce, s'est mis à chanter parfaitement juste et très swingué. L'oeuvre contient énormément de tone-clusters (technique chère au compositeur comme on a pu le voir dans Dreams), ces conglomérats de notes que l'on joue avec l'avant-bras ou la paume de la main. Rzewski nous a expliqué avoir voulu traiter ce blues comme Bach aurait traité une mélodie pour un choral. Contrepoint et différents traitements rythmico-mélodiques.
La troisième étudiante a joué les deux premières pièces d'un cycle composé en 2008, War Songs. Pièces courtes, concises, peu démonstratives mais difficiles à interpréter. Rzewski les joue lui-même en concert. Et il joue toujours ses oeuvres avec partition car, pour lui, l'improvisation et la composition sont deux démarches radicalement différentes. Enfin, il a tenu à finir la prestation des étudiants par l'improvisation car on ne sait jamais où elle va nous mener ni quelle porte elle va nous ouvrir. Belle improvisation toute en retenue et sobriété pour ce jeune élève de Boyan Vodenitcharov.
Suivit une discussion sur l'improvisation. Frederic Rzewski fait remarquer qu’aucun des candidats n'a improvisé sa cadence dans les concertos de Mozart, ce qu'il fait lui-même dans les Sonates de Beethoven. Il semble regretter que les pianistes dits "classique" ne pratiquent pas plus l'art de l'improvisation. Mais il admet qu'il est très difficile d’enseigner l'improvisation. Il y a peu de pianistes qui osent simplement y jouer ce qui leur passe par la tête, sans faire appel à des trucs et astuces. Il vaut mieux parfois ne pas savoir ce que l'on fait quand on improvise pour éviter de se caricaturer, d’aller à l'encontre de son instinct.
Frederic Rzewski est un sage, un philosophe. Pour lui, le pianiste qui joue ne doit pas tout calculer au risque de paraître ennuyeux et trop prévisible : il peut jouer avec des fausses notes car la musique c'est la vie et la vie est pleine de fausses notes. L’homme qui a vécu beaucoup, rencontré énormément de personnes importantes et intéressantes. Il n'a rien à prouver, il est libre. Au moment de jouer la pièce composée pour le Reine Elisabeth, il n'a pas trouvé le piano satisfaisant (il a perdu son âme) et s'est abstenu. Il a préféré continuer la conversation, sans se soucier davantage de ceux qui étaient peut-être venu l'écouter jouer du piano. Et j’ai trouvé ses propos bien intéressants. Aux personnes qui ont critiqué le fonctionnement du concours, Rzewski a répondu que les jeunes pianistes s'inscrivent de plus en plus nombreux à ce concours, beau signe que l'amour de la musique est toujours là. Bien sûr, il est heureux d'avoir été choisi pour l'oeuvre imposée, mais plus encore d'avoir rencontré tant de pianistes désireux de faire carrière et passionnés par leur art.
Chez les compositeurs contemporains, on rencontre assez peu une connaissance aussi riche de la musique populaire, de variété et du rock, et tout cela nourrit ses propres compositions.
Jeudi après-midi, nous avons vécu une rencontre musicale mais surtout humaine, celle d’un esprit libre.

François Mardirossian

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