Rencontre : Matti Salminen, Lifetime Achievement Award ICMA 2017

par
Salminen Savonlina

Boris Godounov au Festival d'opéra de Savonlinna

Le "Lifetime Achievement Award ICMA 2017 est attribué à une des plus fabuleuse basses des scènes d'opéra de ces 40 dernières années. Surtout célèbre pour ses rôles wagnériens, son répertoire -qui s’étire jusqu'aux tangos finnois- est vaste. Sa basse stable et sonore se fait souple dans les nuances subtiles et son talent met l'accent sur l'opéra comme un art de théâtre complet. Harri Kuusisaari, membre du jury des ICMA et rédacteur en chef du magazine finlandais Rondo Classic l'a rencontré.

Matti Salminen n'a rien d'une diva. Son charisme naturel et sans prétention sur scène ainsi que sa longue expérience au sommet du monde de l'opéra sont évidents quand il parle de sa vie. Mais en arrière-fond, on peut encore entendre le fils d'une famille de la classe ouvrière à Turku qui chantait des tangos finlandais dans les boîtes de nuit pour payer ses leçons de chant.
Son style est très direct mais il reste humble lorsqu'il parle de son art. Il n'est pas de ces chanteurs qui se plaisent à évoquer les jours anciens. Pour Salminen, l'opéra est une perpétuelle recherche de nouvelles choses. Il n’hésite pas à bousculer les habitudes et il est même partisan du "Regietheater" où la conception du metteur en scène fait l’essentiel de la production.
« J'ai une sorte de relation amour-haine avec les metteurs en scène. Je ne suis pas toujours d'accord avec leurs idées et je me sens frustré s'ils ne peuvent pas les justifier. Mais je suis fasciné par cette opportunité de découvrir de nouvelles perspectives à des oeuvres qui me sont familières. Alors, c’est un vrai bonheur. La fantaisie créative des metteurs en scène a beaucoup enrichi ma vie de chanteur » dit Salminen.
Il aura 72 ans l'été prochain mais il n'a pas encore annoncé sa retraite. En octobre 2016, il était Rocco dans une nouvelle production de Fidelio au Staatsoper Unter den Linden à Berlin avec ses collègues de longue date, Harry Kupfer (mise en scène) et Daniel Barenboim (chef d'orchestre).
Si la voix n'a plus la même splendeur, la présence scénique de Salminen est plus expressive et charismatique que jamais ; il se concentre sur la subtilité des nuances plus que sur le volume.
En 2015, il était au Festival d'opéra de Savonlinna dans une nouvelle production de Boris Godounov, et il a interprété le tsar d'une manière si intime que la souffrance intérieure du personnage était profondément émouvante. On peut en dire autant de son Filippo (Don Carlo) au Festival de Salzbourg en 2014. « Chuchoter peut être plus efficace que crier. Ces dernières années, j'ai mesuré de plus en plus l'importance de l'économie dans l'expression ». Moins est plus, précisait Salminen lors d'une interview pour Rondo Classic à l'occasion de ses 70 ans.

Matti Salminen en Hagen à l'Opéra National FInlandais
(c) Stefan Bremer

Sa vie de chanteur a commencé à six ans dans une chorale locale. Etudiant avec la soprano Lea Piltti à Turku, il chantait des tangos sous le pseudonyme de « Esa Pasa ». Et il dut attendre que le directeur lui accorde une permission spéciale pour pouvoir entrer à l'Académie Sibelius. Mais l'envie de devenir chanteur professionnel était grande. En 1966, il obtint un emploi au sein du Choeur de l'Opéra National finlandais. La révélation eut lieu en 1969, lorsque cette basse de 24 ans remplaça au pied levé un collègue malade dans le rôle de Filippo (Don Carlo). Sa carrière internationale commença quelques années plus tard à Cologne. Au Festival de Bayreuth, il apparut d’abord en Titurel (Parsifal), puis il incarna Hunding (Die Walküre) et Fasolt (Das Rheingold) dans le Ring du centenaire (1976). Plus tard, il fut Daland (Der Fliegende Holländer), King Marke (Tristan und Isolde), Heinrich (Lohengrin), Pogner (Meistersinger), Landgraf (Tannhäuser) et Hagen (Götterdämmerung).
Bayreuth était alors une rampe de lancement pour toutes les grandes maisons d'opéra. À Zürich, il faisait partie de la troupe, et Zürich est toujours restée sa maison. Toutefois, il n'a jamais oublié ses terres natales et le Festival d'opéra de Savonnlinna a constitué un lien très fort avec la Finlande où il a créé des opéras d'Aulis Sallinen (Le Roi Lear) et d'Einojuhani Rautavaara (Rasputine) avec des rôles écrits pour lui.
Bien qu’il préfère regarder vers l'avenir plutôt que vers le passé, Matti Salminen reconnaît que sa vie et sa carrière furent riches et qu'il a eu la chance de rencontrer les bonnes personnes au bon moment. « Quand je suis allé en Europe centrale en 1972, la vie d'opéra était très différente de ce qu'elle est maintenant. Ainsi, à Munich, il y avait 60 à 70 chanteurs dans la troupe maison. Aujourd'hui, la plupart des chanteurs travaillent en "freelance", passant d'une production à l'autre, et cette vie peut être vraiment difficile. Peut-être ma carrière a-t-elle commencé au bon moment » dit-il. « À Cologne, l'intendant Claus Helmut Drese a décelé mes ressources et il a commencé à me former sur le long terme, des petits rôles aux plus grands. C'était une excellente façon de m'améliorer et d'apprendre le répertoire. Rappelons qu’au début je ne pouvais pas parler l’allemand... »

Parsifal au Deutsche Oper Berlin (c) Evelyn Herlitzius

Parmi les rencontres essentielles, il y a des chefs. « Wolfgang Sawallisch, Marek Janowski et Sir Colin Davis m'ont ouvert de nouvelles portes. Et bien sûr le Monteverdi révolutionnaire avec Nikolaus Harnoncourt et Jean-Pierre Ponnelle à Zürich a été important. »
Ensuite, il y eut les metteurs en scène. Le travail de Patrice Chéreau à Bayreuth pour le Ring du Centenaire a été dévastateur pour Salminen. Il évoque le début des répétitions quand Chéreau demanda au chanteur de se promener, « et les idées venaient ; il improvisait.»
"Avec Götz Friedrich, j'ai eu une longue et fructueuse relation -ce qui ne veut pas dire que nous étions d'accord sur tout. J'ai fait de nombreux rôles au Deutsche Oper de Berlin jusqu'à son dernier Ring à Helsinki. C'était agréable de suivre son chemin allant d'un style radical vers un style plus universel.
Le rôle préféré de Salminen est Marke dans Tristan und Isolde. « Il a de multiples facettes et il traduit une multitude d’émotions en peu de temps. Cela demande une réelle intensité. Et, à nouveau, j'aime les metteurs en scène qui découvrent quelque chose de nouveau à son sujet. Peter Sellars a même vu une relation homosexuelle entre Marke et Tristan. Pourquoi pas? ».
Avec Kaspar (Der Freischütz), Salminen a pu développer sa capacité théâtrale, en particulier dans la production mise en scène par Ruth Berghaus et dirigée par Harnoncourt. La production de Zürich est disponible en DVD. Où a-t-il été chercher une telle énergie intérieure ? En étudiant la partition et les rôles aussi bien que possible. « Il ne suffit pas de connaître son propre rôle, il faut aussi connaître les autres pour pouvoir réagir et maintenir la présence à chaque seconde » souligne le chanteur.
Salminen a créé une fondation pour soutenir principalement l'art vocal finlandais ainsi que les jeunes talents. Juha Uusitalo et Tommi Hakala y ont été boursiers. Il a aussi soutenu des compagnies d'opéra indépendantes comme Saaristo-ooppera (Archipelago Opera).
Il critique l'enseignement qui se concentre trop sur la voix elle-même. « Juste le son, ça ne suffit pas. Ce n'est rien d'autre qu'un véhicule d'expression. Pour exprimer quelque chose de personnel, il faut avoir vécu des expériences. Il faut voyager, aller à l'opéra, s’intéresser aux autres arts, au théâtre. Un chanteur-interprète d'opéra doit connaître l'arrière-plan de la pièce » dit-il.
A propos des genres musicaux, Salminen est très ouvert : « Tous ces tangos que j'ai chantés dans ma vie ont été enrichissants. Chanter de la musique populaire peut aider à trouver des moyens de communiquer. Parfois, en écoutant de jeunes chanteurs, je pense : "Oh! où est l'expression ? Allez de l'avant et chantez, même un peu de hard rock ! ».
Harri Kuusisaari

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